El Marco Modérateur

3219 votes

  • Judge Tome 2

    Yoshiki Tonogai

    8/10 Toujours aussi anxiogène et inquiétant, avec des rebondissements intéressants. Ce tome entretient la flamme née dans le premier tome, développe les psychologies des personnages et voit certaines relations/collusions s’animer parmi les prisonniers de ce huis clos. Une réussite.

    19/11/2016 à 11:07

  • Erased tome 1

    Kei Sanbe

    7/10 Un manga assez particulier, avec cette idée que le héros peut revenir quelques minutes dans le passé avant un drame (ce qu’il appelle une « rediffusion ») afin de modifier le cours du temps. Des moments plutôt durs côtoient de l’humour bon enfant et des traits fort sympathiques. Un protagoniste attachant et dont la fin de ce volume lui réserve une sale surprise qui relance de manière inattendue le récit. J’essaierai de poursuivre avec cette série séduisante.

    19/11/2016 à 11:06 3

  • Les Vieilles chouettes

    Karine Gournay

    7/10 Deux sœurs dizygotes, Apolline et Philippine. Deux octogénaires qui s’amusent encore de blagues potaches et continuent de vivre ensemble. Mais l’arrivée d’un prince charmant, Gabin, risque de démolir cette belle entente familiale.

    Le pitch est très original, et c’est avec une curiosité amusée que l’on commence ce roman de Karine Gournay. Rapidement, les chapitres particulièrement courts (rarement plus de trois pages) séduisent, et l’on se prend d’une réelle sympathie pour la paire de jumelles qui n’ont rien perdu de leur humour et de leur verve. De charmantes petites personnages âgées, que l’on observe avec parfois un peu d’embarras mais surtout beaucoup d’amusement. Puis le temps se gâte, et les nuages couleur d’emmerdes apparaissent, notamment en la personne de Gabin, du même âge que le leur, et qui tourne la tête ainsi que les sangs de Philippine. Au final, ce livre ne réserve que peu de protagonistes. Les deux sœurs, bien évidemment, mais aussi Gabin, qui n’est pas tombé du ciel comme on pourrait le penser dans un premier temps ; Camille, la fille de Philippine, ayant hérité le caractère bien trempé de sa mère, mais que l’absence d’un père a toujours marquée ; Ella, voisine des deux hulottes, perfectionniste quant à sa silhouette malgré son âge avancé. Et puis un dernier personnage, également important, mais dont on ne découvre l’existence que plus tard dans le récit ainsi que son importance. Et avec ces quelques cartes, Karine Gournay parvient à bâtir une intrigue intéressante et divertissante. D’amours mortes que l’on souhaite ressusciter en violentes jalousies, de coups de foudre inattendus en amis qui se trahissent, d’un passé que l’on imagine révolu et dont on veut s’amender et qui débouche sur une vendetta, le lecteur n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer. Et dans ce joli petit jeu de massacres, on trouve même un plaisir coupable à voir ainsi se déchirer ces croulants qui en viennent à en oublier leur âge vénérable. L’humour et le noir s’entrecroisent, se frôlent, se heurtent parfois, mais l’équilibre entre les deux genres est respecté. Et si la plume de Karine Gournay paraît parfois un peu jeune, comme un vin qui aurait mérité un peu plus de maturité pour pouvoir pleinement exprimer toutes ses saveurs, gageons que ce péché de jeunesse se fera oublier dans ses prochaines histoires. De même, comme évoqué auparavant, certains trouveront peut-être que la plume aurait pu davantage se nourrir d’humour, d’absurde, d’acidité ou de noirceur, au lieu de sans cesse vouloir se plonger dans ces diverses encres.

    Voilà un premier roman à suspense qui intrigue par la singularité de son histoire et amuse sincèrement jusqu’aux ultimes pages, imprévues et jouissives, et auquel on pardonne avec un sourire de complicité ses rares défauts.

    19/11/2016 à 11:02

  • Dedans ce sont des loups

    Stéphane Jolibert

    8/10 Le Terminus, un bordel et bar perdu dans le Nord, aux confins des neiges et des forêts. Des règles strictes régissent le fonctionnement de ce lieu qui attire une clientèle rarement avare en débordements et violences. Pour juguler les problèmes, il y a Nats. Un garde-putes, féru de musique classique, castagneur de première, et dont le dos ravagé témoigne d’un passé douloureux. D’ailleurs, sa présence au sein du Terminus n’est peut-être pas un hasard ; il est possible qu’il s’y soit fait engager pour régler des comptes.

    Stéphane Jolibert signe un premier ouvrage très réussi. Sa plume, alerte et noire, est agréable à suivre. L’idée de ce baisodrome tarifé, isolé dans un paysage lugubre, est une véritable réussite. Et là où son roman est particulièrement prenant, c’est par sa dimension chorale. Les divers personnages que l’on retrouve sont autant de morceaux brisés de l’humanité. Tom, le vieil homme désormais en fauteuil roulant, bouilleur d’une gnôle épatante, dont le pouvoir de persuasion est inversement proportionnel à sa vaillance physique. Twigs, mécano alcoolisé, qui aime les femmes le prenant avec un godemiché. Sean, brute épaisse œuvrant au Terminus, maltraitant sa femme et ses enfants. Sarah, la nièce de Tom, magnifique jeune femme rousse, qui va tourner les sangs de Nats. Et toutes ces existences vont se télescoper au gré de divers événements fortuits. Un cadavre enterré, mais dont Twigs ne se souvient plus de l’emplacement. Marthe, l’épouse de Sean, qui va en avoir assez de se faire brutaliser. Indéniablement, Stéphane Jolibert sait bâtir un récit efficace et noir, peuplé de personnages singuliers et tourmentés, dont les trajectoires sont inattendues, mais certainement sanglantes. Même si certains passages sont moins marquants que prévu (l’identité du propriétaire du bar, aisément devinable, ou les raisons de la vengeance programmé de Nats), on retiendra ces horizons laminés par le froid et la solitude, tantôt sinistres, tantôt âprement convoités, et décors de nombreux drames humains. D’ailleurs, les épisodes mettant en scène le loup, et jusqu’au post-épilogue, particulièrement fin et émouvant, ne cessent de nous rappeler à quel point cette espèce animale n’est pas si éloignée de la nôtre, moins pour sa cruauté que pour la justesse des codes qui gouvernent à sa survie.

    19/11/2016 à 10:57 6

  • Les Arbres en hiver

    Patrick Eris

    8/10 Les montagnes jurassiennes, durant un long et sinistre hiver. Un tueur en série s’en prend à des familles entières, dans des maisons isolées, au hasard de ses pulsions. Pour confondre et arrêter le monstre, une équipe de trois gendarmes, de simples individus pas habitués à un tel déchaînement de violence. Et leur chef, un adjudant qui a noué une étrange relation avec la forêt. Une forêt qui semble également être désespérée par une telle sauvagerie…

    Ce roman de Patrick Eris arrive sur la pointe des pieds, avec beaucoup de modestie, qui plus est chez un éditeur qui n’a pas véritablement la faveur des médias. Est-ce pour autant un ouvrage anodin ou ne méritant pas que l’on s’intéresse à lui ? Que nenni. Car il porte en lui de nombreuses qualités, tant littéraires qu’humaines. Avec une belle économie de moyens, l’auteur nous livre un récit à la fois glacé et glaçant. Contrairement à beaucoup de ses compatriotes, il ne cherche nullement à épouser la mode ou plagier les automatismes américains. Avec une langue belle et poétique (les premiers paragraphes de ce livre ressemblent à s’y méprendre à des passages de Et au milieu coule une rivière), Patrick Eris décline une histoire sombre et prenante, de la première à la dernière page. L’intrigue est solide et efficace, avec de beaux retournements de situations et des personnages intelligemment croqués, qu’ils soient sympathiques ou sur le fil du rasoir. L’écrivain prend également le contrepied de ce que l’on peut souvent lire dans ce type de livres, avec un simple trio d’enquêteurs, pas particulièrement exercé au combat, à la résolution d’énigmes, ou prémuni contre la panique engendrée par une fusillade ou une agression. Des militaires certes motivés, mais ayant perdu toute foi en leur mission, dépassés par la barbarie du tueur, en proie aux plus profondes désillusions, et dont les tâches les plus ordinaires sont contrariées par le manque endémique de moyens. Seule note d’espoir sur cette portée désenchantée : le rapport si étrange et pourtant vivifiant du narrateur avec la nature, lorsqu’âgé de sept ans, il s’est perdu dans les bois. Un exil momentané et involontaire qui a nourri son âme, l’a emplie de préceptes déontologiques puissants, et a définitivement marqué son esprit de galopin devenu adulte, puisqu’il s’accorde désormais de salvatrices pauses dans ces univers végétaux et minéraux, sans le chaos, la toxicité et la nocivité du monde extérieur.

    Patrick Eris nous livre ici un roman noir très intéressant et atypique, une délicieuse paire de parenthèses qui s’ouvre et se referme en à peine plus de deux-cents pages sur une histoire où désespérance et foi en l’être humain se confondent. Un bien joli mariage de maux, porté par une plume saine et inspirée. De tels instants de fraîcheur et de bonté dans un paysage littéraire policier parfois routinier, un si joli chemin de traverse où l’on se serait volontiers perdu pendant encore une salve de chapitres supplémentaires, une escapade auprès d’un protagoniste qui mêle avec autant de bonheur anonymat et singularité, on en redemande !

    19/11/2016 à 10:55 4

  • Les tueurs sont tristes

    Steve Knickmeyer

    8/10 Un roman qui est finalement bien éloigné de l’apparente simplicité scénaristique qui émerge du résumé présent sur la quatrième de couverture. Un policier, Straight, devenu tueur à gages, dont la femme a été assassinée lors d’un meurtre dont il devait être la victime, auquel on adjoint un colosse, apprenti assassin, à peu près aussi impressionnant physiquement qu’ingérable, hâbleur et bien médiocre dans les homicides commandités, qui se rendent dans un patelin paumé de l’Oklahoma pour tuer Taber, un bijoutier, pour une histoire d’urbanisme. Face à eux, deux privés, Cranmer, boiteux et malin, et Maneri , séducteur espiègle et farceur. De nombreux personnages, tous bien campés, de la femme à la maîtresse du défunt, en passant par quelques figures locales colorées. Une intrigue bien menée, assez roublarde, avec des chapitres longs mais eux-mêmes découpés, ce qui insuffle un rythme rapide à la lecture. En soi, dans l’histoire, rien de remarquable ou de novateur, mais ce livre n’en demeure pas moins très efficace et prenant, de bout en bout, où le noir se panache souvent d’un humour de bon aloi.

    02/11/2016 à 08:51 4

  • Hideout

    Masasumi Kakizaki

    9/10 Un manga particulièrement cinglant et sanglant, où plusieurs histoires s’imbriquent les unes dans les autres. Au centre de ce maelstrom, cet écrivain à la dérive, tant du point de vue professionnel qu’émotionnel et familial. Une histoire bien trouvée, multipliant les flashbacks et les échos entre plusieurs périodes. Et le dessin singulier de Masasumi Kazizaki, sans couleur, mais où les nuances de noir constituent un véritable ravissement pour les yeux. Un récit noir et anxiogène, très marquant, qui mérite amplement d’être découvert.

    02/11/2016 à 08:50 1

  • La Panthère sort ses griffes

    Lucienne Cluytens

    6/10 Gillian Carax, lieutenant à la sûreté urbaine de Lille, se voit confier une enquête bien particulière : une jeune femme, Djamila, vient d’être retrouvée lacérée et égorgée, devant le bar de son oncle. Cette histoire prend donc une tournure toute personnelle pour la policière. Elle va vite découvrir qu’un cercle privé et très secret, organisant de curieuses soirées libertines, pourrait être à l’origine de cet assassinat.

    Il s’agit du premier tome de la collection Dirty Girls, chez l’Atelier Mosesu. Lucienne Cluytens, dont on connaît déjà bon nombre d’ouvrages, ouvre donc le bal avec cet opus. D’entrée de jeu, le ton est donné : ça sera décomplexé. Gillian est une femme de trente-trois ans qui boit et qui fume, jure comme un charretier, n’hésite pas à mentir à tour de bras à tout son entourage professionnel, mène certaines opérations clandestines pour faire progresser ses investigations, et promène son corps de droite et de gauche pour des aventures expéditives. L’écrivaine n’a pas voulu faire dans la dentelle ni plaire aux dictats de la littérature, et elle l’assume avec le plus grand entrain. C’est certain, même s’il est encore un peu tôt pour le savoir, cette collection s’annonce bien, et ça sera avec plaisir qu’on la verra croître. Gillian, effrontée au possible, déterminée et rebelle, est un personnage de fiction que l’on trouve immédiatement sympathique, même si sa propension à parler in petto ou ses écarts de langage pourront agacer certains. L’intrigue est entraînante, ne lasse pas, et la concision du livre fait que l’on arrive rapidement aux ultimes pages. L’histoire se laisse suivre, un récit au cours duquel on croise notamment un cardiologue et un procureur peu recommandables se permettant, avec quelques invités triés sur le volet, des orgies lointainement inspirées de la mythologie égyptienne. Cela ne renouvelle vraiment pas le genre – il est évident que cela ne faisait pas partie des desiderata de Lucienne Cluytens, mais cela procure de bons moments d’une lecture décontractée et décontractante. Idéalement, le genre de roman pour se laver la tête, loin de toute considération intellectuelle, et suffisamment chevronné pour passer d’agréables instants.

    02/11/2016 à 08:43 1

  • Opération « Serrures carnivores »

    Serge Brussolo

    8/10 L’univers toujours aussi barré de Serge Brussolo, condensé en un seul ouvrage, à découvrir ou redécouvrir. Le premier chapitre met immédiatement dans le bain : un univers futuriste où les armes à feu sont quasiment absentes. Où l’ultraviolence conduit les gens à se déplacer dans des combinaisons surprotégées. Un étrange personnage, Armless, invalide privé de ses bras, qui a développé une technique si brutale des coups de tête qu’il s’en sert pour tyranniser la population. Mathias Fanning, simple éclaireur des forces de coercition qui mettent les prévenus/coupables dans des fourgons qui crament illico les prévenus. Des coffres forts, générés par des savants fous, en fait des bêtes de guerre, que Mathias va devoir aller fouiller, dans les entrailles, pour récupérer le magot. Et tout le reste du récit est à l’avenant ! Un véritable festival d’inventivité et de fertilité littéraires, avec, dans les ultimes chapitres, la libération des coffres forts dans la ville pour des scènes rappelant fortement l’inspiration nippone de Godzilla. J’en ai vraiment pris plein les yeux de cette pyrotechnie, même s’il faut reconnaître que de tels délires créatifs ne seront assurément pas du goût de tous. Mais moi, dans ces chemins loufoques et assumés, je continue de ressentir du plaisir ! A noter que cet ouvrage est disponible gratuitement sur le site officiel de Serge Brussolo.

    02/11/2016 à 08:41 1

  • Mission dinosaure

    Nancy Guilbert

    8/10 Ylan, Eléonore (dite « Nell »), et Théo constituent un groupe de gamins malins, accompagnés du chien Mozart, dont la devise est «Les mousquetaires, ventre à terre ! ». Ils ne perdent jamais une occasion de faire fonctionner leur camaraderie et leur esprit sagace au gré d’enquêtes. Et voilà qu’une occasion de prouver leur talent s’impose à eux : on vient de voler le squelette d’un iguanodon au musée d’histoire naturelle de Lille, là où officie en tant que vigile le père d’Ylan. Et c’est parti pour une aventure qui recèle de nombreuses embûches !

    Avec ce polar jeunesse, Nancy Guilbert fait preuve de beaucoup de talent. Avec leurs messages SMS codés, leur courage et leur sens de l’improvisation, notre trio se démarque vraiment. A partir de cette histoire de trafic, les gamins vont aller au-devant de multiples périls, entre menaces, pistages des suspects, et d’autres situations où leur témérité sera totale. C’est aussi leur sens de la débrouillardise : duper un agent SNCF, se jeter dans la gueule du loup chez l’antiquaire, trouver un allié inattendu en la personne d’une jeune maman, voilà la marque de ces enfants sacrément astucieux ! La tension est également présente de bout en bout, offrant aux jeunes lecteurs un réel moment de délassement. Et il y a le dénouement : vraiment très bon ! Si cette recette a déjà été exploitée, tant au cinéma qu’en littérature, sous la plume de Nancy Guilbert, elle ravit, car elle surprend ! On ne s’attendait pas à ce petit tour de passe-passe, qui prend ici tout son sens, sans flouer le lecteur, et parachevant ce court livre de façon intelligente.

    Pour ses premiers pas chez Ravet-Anceau, on ne peut que saluer Nancy Guilbert. Son récit est intelligent et prenant, à tel point que l’on souhaite la lire de nouveau dans un futur proche.

    02/11/2016 à 08:37

  • L'ultime défi de Sherlock Holmes

    Michael Dibdin

    9/10 Le docteur Watson, se sachant prêt pour le grand voyage, se décide à écrire ses mémoires. Selon sa volonté, cinquante ans après son décès, il est enfin possible d’accéder à ses écrits. Il revient en priorité sur la traque que son ami, Sherlock Holmes, mena à l’encontre de Jack l’Eventreur…

    Avec cet ouvrage, Michael Dibdin frappe fort. Très fort. Cette rencontre a déjà été imaginée dans divers arts, du cinéma à la littérature (Ellery Queen ou Bob Garcia par exemple) en passant par les jeux vidéo. Lorsque l’on invoque le célébrissime limier du 221B Baker Street, il est nécessaire de faire preuve d’une grande intelligence, de subtilité, et d’originalité. Et l’auteur ne manque d’aucune de ces qualités cardinales. Le récit rend hommage à la langue de l’époque, usant d’une syntaxe et d’un vocabulaire délicieusement surannés, et replongeant le lecteur dans l’ambiance du Londres terrifié de 1888. Les faits liés à la traque du terrible Jack l’Eventreur sont authentiques, intelligemment restitués, et c’est sans mal, malgré les connaissances que l’on peut avoir de cette affaire, que l’on se surprend à frissonner de nouveau.
    Michael Dibdin tire son épingle du jeu grâce à une idée maîtresse, qu’il serait bien évidemment impardonnable de révéler. Mais ce rebondissement, intervenant à la fin du troisième chapitre, est tout bonnement stupéfiant d’ingéniosité et de culot. Le reste de roman maintient de nombreuses zones d’ombres, l’intrigue part en spirales opaques, le lecteur en vient à douter des propres observations de Watson, jusqu’à la chute – dans tous les sens du terme – au Reichenbach. Un véritable tour de force que de mystifier ainsi le lecteur sur une centaine de pages, de manière incessante, sans le moindre ressort malvenu ou facilité, jusqu’à la révélation, téméraire et réussie parce que portée par les multiples talents de Michael Dibdin.

    Voilà un livre qui malmène nombre de tabous littéraires. Iconoclaste ? Hérétique ? Peu importe. Michael Dibdin a fait preuve de beaucoup d’esprit, de discernement et d’audace. Les amateurs de l’univers holmesien se régaleront de croiser les divers personnages imaginés par Arthur Conan Doyle et de trouver des références à des enquêtes de l’immortel détective privé. Un ouvrage assurément hardi et brillant, dont on se souvient longtemps après la dernière page tournée.

    16/10/2016 à 17:42 4

  • Hollywood Monsters

    Fabrice Bourland

    8/10 Décembre 1938. Les deux détectives Andrew Singleton et James Trelawney quittent leur Angleterre pour prendre un peu de repos à Hollywood. Au beau milieu d’une nuit, ils manquent de peu écraser une créature énigmatique, ressemblant à s’y méprendre à un loup-garou. Peu de temps après, une jeune femme est retrouvée morte non loin de là. Y aurait-il un lien ? Notre paire de limiers se lancent alors dans une traque qui va les mener de surprise en surprise.


    Voilà donc le cinquième ouvrage de la série des Détectives de l’étrange, et le moins que l’on puisse dire est qu’il ne déroge pas à la règle édictée par les précédents opus. La plume de Fabrice Bourland est toujours aussi riche et savoureuse, faisant revivre par d’habiles tournures de phrases, références historiques ainsi qu’avec un phrasé si particulier une époque révolue. Ce voyage temporel est en soi un régal. Mais lorsque nos deux enquêteurs sont aux prises avec des freaks, aidés par deux nains plein de ressources, combattant une étrange et monstrueuse ligue, on ne peut qu’être d’autant plus ravis. Les rencontres avec ces divers « monstres humains » sont particulièrement bien amenées, avec juste ce qu’il faut d’humour et d’ébahissement, sans jamais tomber dans le scabreux ou, ressort inverse, un angélisme puéril. Dans cette intrigue prenante et passionnante, où se mêlent l’étude du cinéma mondial de l’époque, considérations légitimes quant à l’eugénisme, et mise à nu d’un complot féroce, Andrew Singleton et James Trelawney seront particulièrement secoués, jusqu’à cet épilogue particulièrement touchant ayant trait à ce jeune messie.

    Un roman historique de premier ordre, qui combine avec habileté érudition et sens du suspense, le tout gravitant autour de justes interrogations quant à la dignité humaine et la place de chacun au sein de la communauté. Fabrice Bourland signe ici probablement l’un de ses livres les plus aboutis, avec La dernière enquête du Chevalier Dupin et Le Serpent de feu. Assurément, une série à ne pas manquer !

    16/10/2016 à 17:36 2

  • La Bosse du crime

    William Mole

    8/10 Une intrigue singulière, moins dans son déroulé que son traitement. Ou comment le superintendant de police Strutt demande à son ami Casson de l’aider à coincer le tueur d’une jeune femme. Pas de traque haletante ni de scène d’action, et si l’on y réfléchit bien, pas vraiment de suspense non plus. Mais un immense talent dans les détails psychologiques, la peinture de la structure mentale du meurtrier, et une très habile confrontation intellectuelle entre l’assassin et Casson, fin profileur et victimologue (toujours brillant et en même temps surprenant, notamment dans ses requêtes auprès de Strutt). Un petit régal, de bout en bout, et dont je ne regrette finalement qu’un seul élément : la traduction du titre, qui aurait dû donner littéralement « Le Piège de la peau ».

    16/10/2016 à 17:35 3

  • Le Rossignol de Stepney

    Jean-Blaise Djian, David Etien, Olivier Legrand

    8/10 Toujours aussi charmé par cette série. Des graphismes très agréables, du dynamisme, et une intrigue prenante, avec un rôle clef joué par Sherlock Holmes lui-même. Je me suis régalé !

    16/10/2016 à 17:33 2

  • Le Mal par le mal

    Jérôme Camut, Nathalie Hug

    9/10 Le site d’information W3 continue d’exister, malgré les événements relatés dans Le Sourire des pendus. Sa spécialité : la dénonciation des crimes restés impunis et ayant trait à la sexualité. Une vague de meurtres de policiers secoue l’Hexagone. Si les apparences laissent penser qu’il s’agit d’actes isolés, la vérité est tout autre, et seul un média constitué de téméraires individus saura faire apparaître le complot ourdi.

    Ce deuxième volume de la série W3 n’égarera nullement les nombreux lecteurs qui ont adoré le précédent opus. Jérôme Camut et Nathalie Hug plantent d’entrée de jeu les personnages créés presque deux ans plus tôt grâce à un résumé bien utile. Retrouver ces divers protagonistes et les liens principaux les unissant est nécessaire et rappelle ces réunions de famille dont on a perdu de vue quelques-uns des membres. Et dès les pages suivantes, la magie opère de nouveau : ce beau bébé de huit-cents pages est un gouffre, un labyrinthe dans lequel on prend un plaisir immense à tomber ou se perdre. Le scénario, comme celui du Sourire des pendus, est semblable à la toile d’araignée : complexe, tortueux, si enchevêtré et certains événements arrivant si vite qu’aucun des plus de deux-cents chapitres ne saurait être zappé ni survolé. Et quel régal de rejoindre ces personnages si croustillants et hétéroclites ! Sookie Castel, hypermnésique et physionomiste, plaçant ses interlocuteurs dans des boîtes à partir de ressemblances avec des gens connus, et placée en hôpital psychiatrique. Léon, son père, jurant comme un charretier et ne connaissant aucune limite pour faire rendre la justice, quitte à aller provoquer un violeur injustement libéré et terminer lui-même en prison. Jo Lieras, policier d’élite, immédiatement attaqué par des agresseurs anonymes et lourdement armés. Lara Mendès, journaliste ayant payé cher ses investigations, et prête à aller jusqu’au bout pour obtenir réparation. Et au-delà de ce carrousel d’êtres en mouvement presque perpétuel, il y a des histoires. La genèse de Kalinine, le refuge de La Malhornière, où l’on croise des humains brisés et rafistolés pour répondre aux demandes sexuelles de quelques monstrueux clients. Ce roman, c’est également un vaste champ de mines sur lesquelles beaucoup des héros et des monstres vont poser le pied, déambuler, parfois avec crainte, parfois certains d’être protégés des explosions, mais rares seront ceux franchissant la page finale sans avoir été meurtris, choqués, voire tués. D’ailleurs, les derniers chapitres offrent un événement inattendu et ahurissant, un cliffhangerparticulièrement anxiogène et ouvert, laissant augurer un ultime tome, Le Calice jusqu’à la lie, qui offrira les dernières réponses quant à cette machination.

    Indéniablement, Jérôme Camut et Nathalie Hug ont ranimé la magie de leur précédent roman, et nul ne s’en plaindra. C’est aussi long qu’exalté, excitant qu’enténébré, acide qu’hautement addictif. Et derrière ce paravent de littérature se nichent de bien légitimes questions quant à la liberté de la presse, les imprécations stériles de la justice, la gabegie des fonds secrets des Etats employés à des fins malsaines, et tout simplement la place de l’individu isolé face à un monde qui ne maîtrise plus les monstres sexuels qu’il a, au moins en partie, engendrés. Un thriller d’une rare efficacité doublé d’une leçon de choses qui dérange, bouscule et renverse.

    24/09/2016 à 18:24 4

  • Enragés

    Pierre Gaulon

    8/10 Les jours se suivent et ne se ressemblent pas pour autant. Deux individus lambda, comme Louis et Lucas, vont connaître des événements inattendus. Cela peut commencer de manière étrange, comme un bras retrouvé déchiqueté près d’un accident de voiture, un SDF qui essaie de mordre, une altercation dans une boîte de nuit où quelqu’un semble devenir fou… Ces signes sont peut-être annonciateurs d’une catastrophe terrifiante.

    Pour son premier ouvrage paru chez Fleur sauvage, Pierre Gaulon frappe fort. Reprenant la trame classique des zombies, il nous convie à une lente descente aux enfers. La grande force de l’écrivain, c’est cette facilité avec laquelle il fait lentement naître l’angoisse, instiller dans l’esprit du lecteur la prémonition d’une apocalypse par petites touches successives, version toute littéraire du pointillisme. Car l’un des pièges de ce type de roman, c’est la surabondance d’effets ainsi que leur soudaineté ; ici, tout arrive posément, au compte-gouttes, au point que l’on en vient à croire à cette propagation du mal à l’échelon mondial. La peur, mais aussi le dégoût, parfois la colère, se mêlent alors chez le lecteur, et de longs jours passent aux côtés de nos deux personnages. À cet égard également, rendons hommage à Pierre Gaulon qui nous a évité le cliché des superhéros, indestructibles, et briseurs de zombies à la chaîne. Louis, accompagné de son chien Bingo, est un type on ne peut guère plus ordinaire, tandis que Lucas n’a pour lui que d’être un excellent tireur de compétitions sportives, donc ni un Brad Pitt aux neurones et synapses surnuméraires ni un massacreur à la chaîne de choses. Cependant, l’auteur sait nous narrer ce qu’est un zombie, ou du moins tel que nous le concevons dans notre culture nourrie de films et de romans effrayants. Des silhouettes vociférantes, au déplacement lent et chaotique, et nourri de chair humaine fraîche. Certaines scènes retiendront longtemps l’attention, comme l’agression de Lucas dans sa voiture, ou la manière dont Louis réagit face à la créature enchaînée chez le docteur.

    Sans tapage ni effet facile, Pierre Gaulon joue habilement sa partition sur le thème des zombies. Il le fait avec sobriété, sans jamais réinventer le genre ou le dynamiter (mais il y a fort à parier que l’écrivain n’avait que faire de ces objectifs un peu vains et stériles), et offre de jolies pages finales, tantôt heureuses, tantôt sujettes à plusieurs explicitations contradictoires comme pour Louis. Et c’est cet ensemble de qualités narratives et d’humilité qui servent ce récit mordant et anxiogène.

    24/09/2016 à 18:20 2

  • Le Maître des insectes

    Stuart Prebble

    9/10 Angleterre, années 1960. Jonathan vit avec ses parents et Roger, son frère aîné, handicapé mental. Ce dernier se met à nourrir une puissante passion pour les insectes qu’il élève dans une cabane. Une inclination dévorante, qui sera la source de nombreuses tragédies.

    Premier ouvrage de Stuart Prebble, ce Maître des insectes est un roman noir dans sa plus profonde expression. En presque quatre-cents pages, le narrateur, Jonathan, raconte son existence, jalonnée de multiples accidents. Il sera le protecteur de son frère, légèrement attardé, tombera éperdument amoureux d’Harriet dont il fera son épouse, nourrira pour elles des sentiments brûlants, perdra ses parents dans un incendie. Une sorte de longue confession, sépulcrale, terriblement humaine. L’auteur parvient à susciter un réel appétit chez le lecteur d’en savoir plus aux sujets de ces différents personnages grâce à de longues analyses, toujours plausibles, et confère aux protagonistes tant d’épaisseur que l’on en vient presque à sentir leur pouls en palpant les pages. Ce qui retient également l’attention, c’est Roger ; suscitant une indiscutable empathie sans jamais verser dans l’emphase, le larmoyant ou la caricature, voilà un être littéraire que l’on n’est pas prêt d’oublier. Car derrière sa déficience, il saura faire preuve d’une incroyable intelligence et d’une finesse insoupçonnable. Les insectes qu’il élève dans son vivarium sont une ahurissante métaphore de la condition humaine, bien au-delà de l’écho donné au sort que le destin va réserver aux individus façonnés par Stuart Prebble.

    Sans le moindre artifice de mauvais aloi ni effet contrefait, l’écrivain nous transporte de bout en bout, au gré de sentiments entremêlés et souvent contradictoires, jusqu’à un épilogue mémorable, répondant avec pertinence et émotion au drame évoqué dans le prologue. Assurément, une pépite de la littérature, entre la blanche et la noire, qui n’a pas fini de nous griser.

    24/09/2016 à 18:14 6

  • La Dixième victime

    Robert Sheckley

    2/10 Cela fait fort longtemps que ça ne m’est pas arrivé, mais je n’ai jamais réussi à accrocher à ce roman. J’imaginais tant de choses, mais aucune ne s’est produite. Pourtant, un livre de 1965 sur la téléréalité et avec une chasse à l’homme, ça promettait d’être intéressant. Une dénonciation du pouvoir des médias, de la cruauté des (télé)spectateurs, du voyeurisme, de l’argent roi ? Rien de cela. Bon, alors de la noirceur, avec des scènes de combat serrées, une réelle tension, un quelconque suspense, quitte à laisser les neurones et toute réflexion déontologique au pressing ? Que nenni. Alors de l’humour, du ixième degré, du déjanté, peut-être pour mieux dénoncer, ou carrément distraire ? Même pas. Ce livre me fait penser à une succession d’ingrédients, tous probablement valables, sains et comestibles, mais réunis et mixés à l’arrache pour donner un brouet indéfinissable, et surtout immangeable. Ca hésite toujours entre plusieurs tons : ça se veut parfois drôle, mais ça ne l’est jamais. C’est bavard au possible, aucun des personnages présentés n’a la moindre envergure ou densité, ça part dans tous les sens, et jamais l’auteur n’a essayé de vraiment rendre crédible cette société où la chasse à l’homme est institutionnalisée et acceptée… Et quand on croit que le style rachète l’ensemble… eh bien non, même pas. Les soi-disant escarmouches sont si mal écrites qu’on les croirait volontairement ratées. La passion dévorante entre la chasseuse et la proie est tellement subite et bâclée qu’elle ne tient pas du tout la route. Bref, à mes yeux, un ratage complet de bout en bout, avec comme seule circonstance atténuante, d’être de la plume de l’écrivain qui, semble-t-il, a imaginé le premier cette idée de chasse à l’homme sous les caméras de la téléréalité en 1953 dans une nouvelle sur laquelle il faudra que je mette la main.

    24/09/2016 à 18:08

  • Un peintre en cage

    Ingrid Klupsch

    8/10 Au musée du Louvre-Lens, c’est l’effervescence ! On s’apprête à inaugurer une exposition consacrée à Marc Logan, peintre connu sous son pseudonyme de Malo. Julien Cadonet est en charge de la préparation de cette exhibition. Mais on apprend que l’artiste vient d’être assassiné chez lui, probablement à l’aide d’un pied-de-biche. Le commissaire Garant, en charge de l’enquête, demande de l’aide à Julien afin qu’il obtienne son expertise. En effet, le peintre avait un style bien particulier, avec une obsession pour les petites cages fermées que l’on retrouve sur tous ses tableaux, en plus de nombreux miroirs. Et si ces deux symboles pouvaient désigner le meurtrier ?

    Il s’agit du premier ouvrage d’Ingrid Klupsch, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce premier essai est une réussite. Avec ce roman court, aux chapitres lapidaires qui s’enchaînent à merveille, on se prend de passion pour cette intrigue. Un tueur en série ? Non. Des déflagrations, des fusillades, des corps qui bondissent dans les airs ? Nullement. Du sang, du machiavélisme, de la bidoche éventrée à chaque page ? Encore moins. Décidément, Ingrid Klupsch ne semble rien proposer qui soit susceptible de plaire à un large lectorat, n’est-ce pas ? Eh bien, il serait bien maladroit et déplacé de penser de telles sornettes, car assurément, l’écrivaine a beaucoup de talent. Et ses prédispositions littéraires, son sens de la narration, l’intelligence de ses écrits ainsi que la grande crédibilité de cet opus sont patentes. Julien est un personnage humain, sensible, et qui n’a nullement besoin d’avoir une musculature de gladiateur, un flair de Saint-Hubert ou un physique avantageux à carboniser une femme à plusieurs mètres. Il est juste passionné de peinture, en a fait son métier ainsi que sa vocation, et il saura mettre à profit son érudition artistique pour comprendre non seulement le mobile mais aussi l’identité du criminel. Un détail minuscule qui éclate à la surface de sa conscience, le principe de l’anamorphose qui lui revient après avoir vu un tableau de Mattheus Wytmans, et le voile se lève ! Il est assurément bon – voire sain et salvateur – de voir de jeunes auteurs oser ne pas copier les codes du thriller américain et proposer leur propre vision de la littérature policière, celle qui œuvre avec vraisemblance, humilité et finesse. Et c’est ainsi que l’on comprendra tout de l’assassinat de Malo, entre duperie, amours contrariées et trafic d’art. D’ailleurs, ce résumé mettant en avant cette histoire de cages fermées et de glaces laissait augurer beaucoup d’originalité, de fraîcheur et de réflexion. Le but est amplement atteint.

    Voilà donc une lecture ingénieuse et subtile, qui s’impose au gré des pages par petites touches, telle une peinture du courant pointilliste, sans effet tapageur ni rebondissement capillotracté. C’est aussi une saine plongée dans le milieu des peintres, pris en étau entre la volonté de reconnaissance et le devoir presque éthique d’assumer son œuvre. Emaillé de références artistiques que l’on se plait à aller creuser et analyser de son propre chef en relâchant – très provisoirement le roman – pour les rendre plus parlantes, cet opus est une bien agréable bulle de jouvence qui vient éclater à la surface d’un paysage littéraire trop plat, ou trop prompt à reproduire les inspirations et gimmicks du dernier auteur à la mode. Ce livre, Un Peintre en cage, a en plus le mérite de briser ce corset pour proposer une œuvre atypique et fort personnelle. D’ailleurs, Ingrid Klupsch signale que Julien Cadonet sera bientôt de retour pour une nouvelle aventure en Bretagne ; nous serons au rendez-vous !

    24/09/2016 à 18:05

  • Un Printemps vert panique

    Paul Thiès

    6/10 Une histoire policière gentillette, aux ressorts connus et un peu usés, mais qui passe facilement. Le rythme imprimé, le style doux et son intrigue plaisante rendent l’ensemble aisément accessible à n’importe quel jeune lecteur, autour de cette histoire d’héritage, de vengeance et de famille. Seul surnage le personnage de Martin et son attachement sans bornes à « son » hôtel.

    10/09/2016 à 18:37 1