El Marco Modérateur

3219 votes

  • La Carne

    Guy Lefebvre

    7/10 Brouchon, un chirurgien vieillissant. Elisabeth, sa femme, plus jeune que lui, stérile et disposant de nombreux appâts pour séduire les hommes. Dansec, le nouveau praticien et collègue de Brouchon, qui n’est pas insensible aux charmes d’Elisabeth. Marc, directeur d’un haras. Nader, palefrenier. Et La Carne, cette jument indomptable et irascible. Tous ces destins vont se télescoper dans un manège où se mêlent amours, passions contrariées, rancœurs et dissimulations.

    Cet ouvrage de Guy Lefebvre est son premier à paraître chez l’éditeur Fleur sauvage. Court (environ cent-quatre-vingts pages), ce roman fait intervenir une belle diversité de personnages. Tous bien dépeints, en quelques mots ou phrases savamment tournés, ils vont, en raison des liens qui les unissent, être amenés à s'affronter. Avec un style épuré qui n’empêche nullement les belles tournures littéraires, l’auteur signe un livre efficace et prenant de la première à la dernière page. C’est également un croquis adroit de la solitude et de l’abandon, de l’espoir qui anime les âmes et les chairs déclinantes, où les mots de l’auteur se posent avec beaucoup de justesse. L’intrigue, classique mais particulièrement humaine et crédible, se rapproche de celles de Georges Simenon, avec cette belle économie d’événements, mettant davantage en relief paysages et psychologies. Ce qui retient le plus l’attention, c’est finalement la présence de ce cheval, cet animal dangereux et tempétueux, qui deviendra le détonateur enfoui au milieu de cet amas d’animosités et d’inclinations.

    Peut-être certains amateurs de littérature policière auraient préféré un ou deux rebondissements supplémentaires, tandis que d’autres regretteront à coup sûr les nombreuses fautes et coquilles disséminées dans le roman. Néanmoins, cette Carne est assurément un bon ouvrage, intelligemment écrit, plausible et racé.

    11/01/2017 à 17:36 3

  • Hugo contre le minotaure

    Fabien Clavel

    7/10 Une habile relecture de la mythologie, qui préserve autant l’aventure que l’érudition pure, sans oublier une agréable dose d’humour. Une écriture espiègle, même si je regrette que le Minotaure et le Labyrinthe soient trop rapidement évacués de l’histoire. Assurément, je tâcherai d’être au rendez-vous de d’autres opus de cette collection atypique et entraînante.

    11/01/2017 à 17:30 1

  • Le Coup du lapin

    R. L. Stine

    7/10 Une histoire mêlant magie et illusionnisme, assez bien troussée et prenante jusqu’aux dernières pages. Une ambiance qui mêle habilement humour et suspense, jusqu’à un final inattendu, qui n’est pas trop de mon goût, mais que les jeunes lecteurs aspirant à des situations abracadabrantes sauront apprécier mieux que moi.

    11/01/2017 à 17:29 1

  • Faridon en Floride

    Larry Holden

    6/10 Un joli cocktail de personnages reclus dans une luxueuse villa en Floride pour éviter une nuit des longs couteaux entre malfrats. Lou, le gangster aux abois, vantard et blagueur, prêt à tout pour s’envoyer en l’air avec Josie. Nelly, la sœur de Josie, dont Harry, l’ancien homme de loi de Lou, va tomber amoureux. Goff, taciturne et misanthrope, qui cache encore de jolis trésors d’amour à donner… qu’il donnera à Josie. Sans compter les deux gardes du corps, Vito, la brute épaisse aux ordres de Lou, et Yutzy, pas aussi bête que cela. Sans compter Grizzard, qui vivra cet épisode de claustration dans la maison attaché dans la cave comme une bête pour une simple remarque. Tous les ingrédients sont réunis et la langue de Larry Holden est agréable à lire. Mais au final, pas mal de temps morts, des amourettes bien écrites cependant pas toujours crédibles, et un petit jeu de massacre qui aurait, à mes yeux, gagné à être plus noir, tendu ou corrosif. Une lecture sympathique, un bon moment passé aux côtés de ces individus, mais je reste un peu sur ma faim.

    11/01/2017 à 17:25 3

  • Tireurs d'élite

    Robert Muchamore

    8/10 Mi-1943, en Bretagne. Rosie et Eugène, deux adolescents, parviennent, avec l’aide de la Résistance à laquelle ils appartiennent, à exfiltrer Edith, une gamine prisonnière des forces nazies. Dans le même temps, quatre garçons s’entraînent à devenir des tireurs d’élite. Ces deux groupes vont bientôt unir leurs forces afin de pénétrer dans un blockhaus où serait développée, en toute discrétion, une puissante arme.

    Ce sixième volet de la série consacrée aux Henderson’s Boys constitue un pur régal. Robert Muchamore continue d’y développer cette saga au fort succès critique et public. Les fans y retrouvent d’entrée de jeu les ingrédients caractéristiques : des femmes et hommes, encore mineurs, enrôlés dans la lutte contre l’ennemi allemand, et prêts à tous les sacrifices pour la réussite de leur dessein. L’action y est omniprésente, et même si quelques éléments sont édulcorés puisqu’il s’agit à la base d’une lecture destinée aux jeunes, de nombreux passages réservent des scènes de violence, que cette dernière soit d’ailleurs suggérée ou concrète. Les coups d’éclat ne manquent pas, depuis l’attaque de troupes allemandes à l’évasion musclée d’une habitation isolée jusqu’à l’assaut final contre le bunker. Robert Muchamore sait ménager le suspense et agrémenter son récit d’éléments historiques avérés, même si l’on se doute que toute véracité, voire crédibilité, est à exclure. Néanmoins, l’histoire est énergique, le style nerveux, et l’on se prend d’une réelle empathie, et même de passion, pour ces adultes en devenir se surpassant au nom d’enjeux salvateurs. Une véritable pépite littéraire, alliant l’efficacité à de justes réflexions sous-jacentes quant au libre-arbitre et à l’engagement humain.

    11/01/2017 à 17:16 2

  • Tambours de guerre

    Serge Brussolo

    8/10 Elona Adder, galeriste, vient de faire disparaître dans un incendie criminel une série de peintures. Ces toiles sont toutes l’œuvre de Zac Blasko et représentaient des tueurs en série, avec un pouvoir pictural d’attraction particulièrement puissant. La fille de la criminelle, Naomi, ignore encore que cet acte désespéré, peut-être symptomatique d’une volonté de rédemption, engage pour elle le début d’une longue descente aux enfers.

    De Serge Brussolo, on connaît déjà presque tout. Son impressionnante bibliographie, ses incroyables talents de conteur, la prolixité de ses histoires autant que le foisonnement des idées que l’on y trouve. Et ce n’est certainement pas ce roman – son dernier sorti – qui contredira ces évidences. La patte de l’auteur y est intacte, et immédiatement reconnaissable : la plume en furie, les malices qui fusent à chaque chapitre, voire chaque page, ses obsessions, et le caractère si particulier de ses intrigues. Zac Blasko, grâce à l’un de ses portraits, aurait réussi à priver son modèle Raven Connins de ses mortelles pulsions, quand celui-ci s’illustrait en conditionnant la chair de ses victimes dans des bocaux qu’il étiquetait, lui octroyant le sobriquet d’« Epicier de l’horreur ». Quand Raven apprend que la toile le croquant est réduite en cendres, il n’a qu’une envie : s’évader de sa prison et retrouver Zac pour qu’il le peigne de nouveau et le purge ainsi de ses mauvais penchants. Mais puisque l’on est chez Serge Brussolo, on se doute que l’histoire – déjà bien surprenante et atypique – ne saurait en rester là. Naomi a eu comme tuteur un vieux Japonais qui est décédé et était lui-même un bel artiste (clin d’œil : il a signé cet ouvrage Les Harponneurs d’étoiles, œuvre de devinez qui ?). Zac Blasko avait quant à lui un contrat : seulement trois représentations de ses toiles, après quoi elles échouaient à un mystérieux yakuza. Maintenant qu’elles sont toutes brûlées, ce mafieux de l’ombre a du travail à confier à l’artiste, en guise de dédommagement imposé. Raven, pour s’enfuir, peut compter sur l’aide d’un personnel du pénitencier, mais il ignore encore que ce dernier est en cheville avec Joan, une experte en informatique… qui est également sa plus grande fan. Ajoutez à cela d’étranges bongos aux pouvoirs inexpliqués, un tableau qui a « déteint » sur le ventre d’Elona et que les yakuzas veulent à tout prix récupérer, une ancienne base militaire officiellement désaffectée, un policier aux graves problèmes de santé et particulièrement pugnace, sans compter une bonne dose de paranoïa et vous aurez une idée de la densité de ce récit. Comme d’habitude, avec Serge Brussolo, on ne peut pas s’ennuyer : il nous présente constamment la copie de l’excellent élève, abondante en idées et particulièrement appliquée dans leur traitement. Certes, l’intrigue s’effiloche un peu vers le derniers tiers du roman, mais il n’était guère possible que le rythme imposé d’entrée de jeu – celui du cent mètres – puisse tenir tout au long de ce marathon littéraire.

    Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’univers si singulier de Serge Brussolo, voilà l’une des nombreuses portes d’entrée pour y accéder. C’est déjanté, éblouissant et terriblement efficace. Et que dire de la longévité de son œuvre ? Avec L’Oiseau des tempêtes, Cheval rouge et Les Geôliers à paraître dans les mois à venir, il y a fort à parier que nous serons encore une fois fort nombreux à être présents lors de ces publications. De même qu’il y a toujours autant à miser que de nouveaux envoûtements seront également au rendez-vous.

    11/01/2017 à 17:15 6

  • Détective Conan Tome 7

    Gosho Aoyama

    7/10 La résolution de l’énigme présente à la fin du tome 6 (à travers un détail présent sur une photographie), une plus longue histoire prenante ayant trait à la prétendue malédiction liée à un piano sur une île, et un ultime récit dont on ne connaîtra la fin que dans le tome suivant. Au final, une seule histoire complète, bien menée, intelligente et présentant de nombreux rebondissements. Vraiment intéressant et délassant.

    11/01/2017 à 17:09

  • Un si terrible secret

    Evelyne Brisou-Pellen

    9/10 Une très jolie histoire qui mêle secrets de famille, amours éconduites et Seconde Guerre mondiale. Avec une langue particulièrement agréable et un sens indéniable de la narration, Evelyne Brisou-Pellen a bâti une intrigue magnifique qui enchantera jeunes comme moins jeunes lecteurs, jusqu’à l’épilogue vraiment très émouvant. Une réussite totale !

    11/01/2017 à 17:05 2

  • Détective Conan Tome 5

    Gosho Aoyama

    6/10 Deux histoires et demie bien sympathiques. Un tueur bien machiavélique et sanglant, avec une affaire façon John Dickson Carr en édulcoré. Une belle réussite. La deuxième ne m’a pas particulièrement emballé, bien qu’elle soit crédible et bénéficie d’un dénouement mettant en avant un côté humain et psychologique de fort bon aloi. La dernière, inachevée, demande la lecture du tome 6 pour être complétée et achevée. Dans l’ensemble, c’est toujours aussi efficace et prenant, même si ce tome ne m’a pas transporté plus que cela.

    15/12/2016 à 18:36

  • La Voiture hantée

    R. L. Stine

    7/10 Quelque part entre le « Christine » de Stephen King et les histoires de revenants, un livre assez sombre et bien mené, jusqu’ à une conclusion intéressante. Le style colle parfaitement à ce récit anxiogène et empreint de paranormal. Un livre qui se lit vite et bien, assurément pour de bons instants d’angoisse pour les jeunes lecteurs auxquels il se destine.

    15/12/2016 à 18:35

  • Le médium a perdu ses esprits

    Peter Lovesey

    7/10 Un habile et méconnu roman à énigme, dans un style typiquement british, ou comment une série de cambriolages mène le sergent Cribb à enquêter sur un médium qui va lui-même mourir lors d’une étrange séance de spiritisme. Une ambiance très décontractée pour ce whodunit de bien bonne facture, avec un humour agréable, et des révélations en cascade sur la fin du livre. Peter Lovesey entremêle adroitement plusieurs pistes (chantages, charlatanisme, etc.), révèle quelques-unes des duperies du spiritisme, et rend prenante de bout en bout cette histoire d’augure électrocuté sur une chaise qui n’avait été élaborée, de prime abord, que pour s’assurer de sa bonne foi. A découvrir.

    15/12/2016 à 18:34 1

  • Le Secret de la petite demoiselle

    Jess Kaan

    8/10 1903 à Malo-les-bains. Deux personnes sont retrouvées mortes, la première noyée par la marée, la seconde pendue. Les deux victimes étaient des investisseurs et les circonstances de leur décès sont suspectes. Afin de lever le voile sur cette affaire, le directeur du cabinet du maire fait appel à Ernest Hornes. Ce dernier va alors mettre à jour un terrible complot qui tourne autour d’une mystérieuse « petite demoiselle ».

    Issu de la collection Belle Epoque, cet ouvrage de Jesse Kaan est une très belle réussite. S’y conjuguent, avec un talent indéniable, les ingrédients du polar historique, du roman d’action et du livre d’espionnage. En fort peu de pages (environ cent-quatre-vingts), l’auteur nous charme de bout en bout. Les scènes d’action sont très réussies, l’enquête est intelligemment bâtie, et les divers personnages enchantent. Ernest Hornes est, à ce titre, un être que l’on aurait plaisir à retrouver, pratiquant la savate (ce sport lui sera souvent salvateur), toujours prompt à séduire les femmes mais révélant au fil des chapitres un cœur tendre, obstiné et particulièrement efficace. Le lecteur va côtoyer des individus particulièrement retors et savoureux, depuis ces Apaches prompts à user de la violence jusqu’aux conjurateurs en passant par Von Malenhof qui prévient de ses crimes en utilisant des roses blanches. Il serait faux cependant de penser que ce livre n’est que purement distractif : même si Jesse Kaan sème quelques indices au long du récit, la nature de cette « petite demoiselle » n’apparaît que dans l’épilogue. Et il s’agit d’un rebondissement astucieux, érudit et singulièrement détonnant.

    Voilà un bouquin qui arrive sur la pointe des pieds, chez un éditeur malheureusement pas assez médiatisé, et signé d’un homme bien plus connu et reconnu pour ses nouvelles que pour ses romans. Alors profitons de cet avis pour proclamer haut et fort que Jesse Kaan est un auteur qui mérite amplement de plus nombreux échos médiatiques, car l’esprit et l’efficacité qui animent sa plume sont délectables.

    15/12/2016 à 18:31 1

  • Blackout Baby

    Michel Moatti

    9/10 Dans le Londres de ce début 1942, la Luftwaffe n’est pas nécessairement l’ennemi le plus angoissant. Un individu, que la presse surnomme déjà le Blackout Ripper, massacre des femmes. Un cabinet réunissant des élites politiques et policières craint qu’il s’agisse de l’œuvre d’une cinquième colonne, de communistes, ou de suppôts nazis, afin de terroriser la population. Un ancien policier, Walter Dew, va rencontrer Amelia Pritlowe, afin qu’elle l’aide à arrêter ce monstre. Car il se pourrait que ce dernier ait déjà en tête un plan bien plus abject et abominable…

    Après Retour à Whitechapel, Michel Moatti signe le deuxième tome de la série consacrée à Amelia Pritlowe. Dans le précédent opus, elle se découvrait être la fille de l’une des victimes de Jack l’Eventreur, et c’est parce qu’elle a réussi à mener à bien sa traque que la police se tourne vers elle pour cette chasse à l’homme. Il est d’ailleurs à noter que les deux ouvrages ne doivent pas particulièrement être pris dans l’ordre, d’autant qu’aucun spoiler ne vient gâcher cette éventuelle lecture désordonnée. Nous avons ici un tueur en série particulièrement sadique et dérangé, dont l’auteur nous restitue avec intelligence la genèse : un être ayant voulu s’élever au-dessus de sa condition en profitant de sa nyctalopie, mais surtout sujet à de fortes céphalées et rabroué par ses contemporains. Sa rédemption, il croit la trouver dans la lecture et l’application des préceptes ésotéristes de l’occultiste Aleister Crowley. Le récit apparaît parfois classique dans sa mise en œuvre – sa rythmique, pourrait-on dire – avec la montée en puissance de l’assassin, la rencontre avec son bien involontaire mentor, les indices qu’il laisse sur les lieux de ses perversions, etc. Néanmoins, Michel Moatti est un écrivain de premier ordre, qui sait donner vie à une multitude de personnages, avec une réelle densité : Amelia, à la fois hésitante à se remettre en service, comme Dew, qui n’est que zones d’ombre, et ayant à se racheter de n’avoir pu arrêter, un demi-siècle plus tôt, Jack L’Eventreur. C’est aussi un portrait saisissant de Londres durant le Blackout, des montées d’angoisse à la pénurie alimentaire, de la gestion des nombreux blessés et mutilés – Amelia officie comme infirmière quotidiennement à leur côté – à la crainte d’une attaque de plus grande envergure. Car, en homme instruit et ayant amplement préparé le terrain de ce livre, Michel Moatti a nettement mis en relief des situations et opérations rappelant le joueur de flûte de Hamelin ou encore le Massacre des Innocents par Hérode. Autre fait troublant tout autant que marquant : Gordon Cummins, le tueur en série, a réellement existé, et dans des conditions particulièrement proches de celles décrites tout au long du livre. Certes, dans sa postface, l’écrivain admet lui-même avoir pris quelques libertés avec l’historicité de certains faits et personnages, mais ces très rares licences littéraires mettent néanmoins bien en avant à quel point le réel et le fictif peuvent se rejoindre dans le sang.

    Voilà donc un thriller historique de premier ordre, qui vaut moins pour certains passages attendus que l’immense qualité de sa narration, le trouble qui naît lorsque l’on sait qu’il est inspiré de faits réels, et qu’il se déroule dans une ambiance singulièrement alarmante ayant peu servi de toile de fond à la littérature policière. Pour l’anecdote, John Lawton s’est servi de ce cadre à la fois historique et géographique dans Black-out, tandis que Jean-Marc Ligny évoque Aleister Crowley dans La Ballade des perdus.

    15/12/2016 à 18:25 3

  • Elle n'en pense pas un mot

    Joséphine Tey

    7/10 Etrange histoire, que celle de la jeune Elizabeth Kane, seulement âgée de quinze ans. Elle affirme avoir été enlevée et retenue prisonnière par deux femmes, Marion Sharpe et sa mère, dans leur maison, afin de l’obliger à devenir leur domestique. La gamine porte encore sur elle de nombreuses traces de coups et sait sans mal décrire de multiples lieux de la demeure. Cependant, les deux Sharpe nient catégoriquement. Qui croire ? Les accusées recrutent Robert Blair, avocat peu spécialisé dans le domaine du droit criminel, tandis que l’inspecteur Grant doit démêler cette sombre intrigue. Mais Elizabeth est-elle aussi crédible et innocente qu’il n’y paraît ?

    Extrait de la série consacrée à Alan Grant, ce roman est inspiré d’un fait réel, l’affaire Elizabeth Canning. Sur un rythme sage, très policé et finalement so british, le lecteur se prend de passion pour ce mystère autant policier que judiciaire. Les personnages, dépeints rapidement et placés sur la scène de cette originale histoire, sont crédibles et convaincants. Joséphine Tey use d’une langue délicieusement surannée (on ne s’en étonnera que peu, l’ouvrage datant de 1958), ce qui contribue au charme si particulier du roman. Entre recherche des failles dans les déclarations d’Elizabeth, dite Bethy et les légitimes suspicions émises à l’encontre de la famille Sharpe, si froide et volontairement recluse dans leur maison en cours de délabrement et appelée The Franchise, les doutes et le suspense afférent se multiplient. Cependant, on regrette un traitement de l’énigme un peu trop partial, puisque l’on se doute très vite qu’Elizabeth n’est pas le chérubin qu’elle veut bien paraître, de même que deux événements – des témoignages – viennent trop vite affaiblir ses dires. Cependant, la grande force de ce roman succinct tient également dans la peinture acide des acteurs secondaires de ce prétendu drame. Les autorités religieuses, promptes à condamner sans connaître le moins du monde le dossier et ainsi vouer aux gémonies les Sharpe. Les médias toujours aussi véloces quand il s’agit de dégainer un jugement à l’emporte-pièce et nourrir ce que l’on n’appelait pas encore à l’époque un buzz. Les simples citoyens de Milford, prêts à s’en prendre aux prétendues coupables, sans la moindre considération pour la notion de présomption d’innocence, allant jusqu’à attaquer The Franchise, comme on aurait anciennement lynché des suspects au seul motif que la jeunesse ne saurait mentir et que la vindicte populaire ne peut qu’avoir raison dès lors que le stupide grégarisme unit dans un troupeau de viandes pensantes des individus si pieusement intentionnés.

    A défaut de livrer un roman policier totalement convaincant, Joséphine Tey croque avec justesse – et donc au vitriol – les si belles mœurs de ses contemporains. Un portrait très fin, sans jamais être caricatural, de la vitesse avec laquelle les poncifs peuvent déclencher des violences pouvant tourner à la tragédie, sans les moindres égards dus à la modération, le libre-arbitre et, finalement, à l’intelligence humaine. Et, en cela, il est tout à fait compréhensible qu’en faisant écho à une célèbre affaire criminelle, ce livre ait pu recevoir autant d’honneurs littéraires.

    30/11/2016 à 18:45 2

  • Qu’ils crèvent !

    Michel Vigneron

    9/10 José et Gabriel sont deux policiers de la BAC de Cayenne. Un jour comme les autres, ils interviennent et arrêtent un cambrioleur alors qu’il sort à peine de la maison qu’il vient de visiter. Dans le même temps, Nickson, un jeune dealer est agressé chez lui puis tué par deux colosses qui assassinent également sa mère. Le problème, c’est que cette dernière était également la tante de José. Pour le duo de limiers, cela devient donc une affaire personnelle…

    Michel Vigneron est assurément une plume à suivre de très près. De ses précédents romans, nous avions déjà beaucoup apprécié, entre autres, Le Puits de la perversion et Harpicide, extrait de la série consacrée à L’Embaumeur (cf. cet avis ainsi que celui-ci. Déjà à l’époque, son style tranchait : direct, violent, saignant. Ici, dans ce Qu’ils crèvent !, l’écrivain ne s’est pas assagi, bien au contraire. Ancien policier en Guyane, il nous dresse un portrait édifiant de ce territoire, perclus de vices, de la drogue à la prostitution (souvent de mineurs) en passant par la corruption. Les mots se déchaînent au rythme des descriptions, toutes plus sordides les unes que les autres. Un véritable festival de maux, où tous les sens humains sont brutalisés. Rarement un écrit n’est allé aussi loin dans l’éclairage des altérations humaines, d’autant que les projecteurs sont eux-mêmes de véritables phares de ténèbres. A un tel stade, on ne trouve guère que des auteurs comme Nada pour être aussi brutaux dans le réalisme. D’ailleurs, ce sera probablement l’un des seuls éléments que certains pourront reprocher à Michel Vigneron, car ce court ouvrage est une véritable réussite. C’est mordant à souhait, autant vénéneux que venimeux, peuplé de personnages interlopes brossés sous leurs pires profils, en une contrée qui semble complètement échapper à la moralité et à la loi. José et Gabriel sont eux-mêmes représentatifs de cet univers anomique : ce ne sont pas des justiciers zélés et vertueux, mais des fonceurs, n’hésitant pas à bafouer toutes les légalités, torturer un prévenu, voire menacer de viol la compagne d’un bonnet de la drogue. Et les ultimes pages, feu d’artifice inattendu, mettent en scène un piège remarquable tendu à l’un des policiers et se refermant tout autant sur le duo que sur le lecteur. Un leurre à l’image du roman tout entier : simple, barbare, mais diablement efficace.

    On l’aura compris, cet opus n’est pas à mettre entre toutes les mains, tant il est dérangeant. D’aucuns le trouveront malsains, d’autres stérilement âpre. Soit. Mais ce livre que Lucienne Cluytens qualifie avec malice sur la quatrième de couverture d’écœurant est indéniablement marquant. Il existe une formule qui a fini par perdre de sa valeur à force d’être employée, comme une lame émoussée, et qui veut qu’on déteste un ouvrage ou qu’on l’encense, sans sentiment médian. A la lecture de cette dernière production de Michel Vigneron, on en vient à se demander si cet adage n’a pas été imaginé pour elle. En attendant, nous, on adore. Parce que ça schlingue. Parce que ça saigne. Parce que ça grogne. Parce que, finalement, c’est de la littérature dans ce qu’elle a de plus noir. Et nous, on en redemande.

    30/11/2016 à 18:45 3

  • Machinations

    Johan Heliot

    7/10 Les jumeaux télépathes Véra et Théo ont été séparés. Tandis que la première, avec leur mère, vont être acheminées vers Baïkonour, le second va se démener pour faire libérer sa sœur, quitte à devoir affronter la terrible multinationale BEST.

    Après Prédictions et Connexions, Johan Heliot revient avec ce troisième et ultime opus de la série consacrée à Enigma. Pour celles et ceux ayant raté les précédents ouvrages, deux pages permettent, d’entrée de jeu, de resituer les principaux personnages tandis que des notes de bas de page rappellent au début du récit quelques événements marquants ayant précédemment eu lieu. On retrouve avec plaisir tout ce qui a suscité le bonheur de cette saga : des récits courts faisant alterner les points de vue de Véra et de Théo, une bonne dose d’action, du suspense, des protagonistes marquants, quelques saupoudrages d’humour, et surtout pas mal d’éléments liés au paranormal ou à la technologie. Des jumeaux pouvant communiquer à distance en raison du programme Twin-spirit développé par leur propre grand-mère, mais aussi un superordinateur capable de prévoir l’avenir grâce à l’exploitation des mégadonnées, l’utilisation d’un cosmodrome au Kazakhstan, une station-satellite dont Théo et Véra pourraient détenir la clef, voire être la clef. C’est cette recette, épicée et fort roborative, qui a servi de base aux deux premiers ouvrages, et Johan Heliot ne s’en dédie pas : il l’applique encore ici, du début à la fin du récit. Cette accumulation d’ingrédients pourra rebuter certains lecteurs et les diriger plutôt vers deux autres de ses succès critiques et publics que sont Dans la peau d’une autre et Dans tes rêves, également dans la collection Thrillers de chez Rageot. Néanmoins, tout jeune lecteur qui cherche des émotions fortes, rehaussées par une belle créativité littéraire et nuancées d’un humour – qui rend d’ailleurs certains passages volontairement parodiques et leur confère une forme de distanciation de bon aloi – sera comblé.

    30/11/2016 à 18:30

  • Death Note tome 5

    Tsugumi Ōba , Takeshi Obata

    7/10 Un autre volume prenant de cette série addictive. Une bien étrange cohabitation entre Light et L, avec l’enquête qui se poursuit au sein de l’entreprise. Des traits toujours aussi particuliers et un scénario à la fois prenant et halluciné. Je regrette quelques longueurs néanmoins, dans les dialogues ou les analyses de L.

    30/11/2016 à 18:30 1

  • Détective Conan Tome 4

    Gosho Aoyama

    8/10 Trois enquêtes enthousiasmantes : un meurtre dans un musée en cours de reconversion, un train piégé par une bombe et une chasse au trésor. Je suis toujours attiré par cet art de Gosho Aoyama pour faire détecter le détail qui va bouleverser l’histoire (le coup du papier pour la première histoire, le sens du train pour la deuxième et les symboles intelligemment interprétés dans la troisième). Des clins d’œil sympathiques (comment ne pas reconnaître une puissante similitude entre le conservateur du musée puis le vieillard suspect du wagon ?) pour une triade jouissive.

    30/11/2016 à 18:28

  • Magic Kaito Tome 2

    Gosho Aoyama

    5/10 Une suite d’histoires certes sympathiques et enlevées, mais j’ai été plutôt insensible à leur charme. Des dessins moins fouillés et fournis que la série des Détective Conan, un humour qui revient de manière trop systématique et appuyée à mon goût, des énigmes qui restent souvent réduites à la portion congrue, et un emploi très limité de tours de magie (Kaito ressemble moins souvent à un illusionniste qu’à un avatar de l’Inspecteur Gadget). Assez déçu.

    30/11/2016 à 18:27

  • Ont-ils des jambes ?

    Charles Williams

    5/10 Une histoire qui commence bien, avec une manipulation sympathique et une substitution d’identité à propos d’un bateau. Mais si les ingrédients sont présents sur la table, l’auteur oublie un peu la recette en cours de route. C’est finalement assez fade, sans retournement de situation ni montée de tension. Indéniablement, il a potassé son sujet, notamment à propos de la navigation et du vocabulaire maritime, mais ça ne prend pas vraiment. La concision du livre est ici amplement justifiée à mes yeux : dans la mesure où Charles Williams n’avait pas grand-chose à raconter, autant faire court. Une intrigue et un ouvrage qui ne resteront pas bien longtemps en ma mémoire.

    19/11/2016 à 11:09 1