El Marco Modérateur

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  • L'Empreinte

    Alexandria Marzano-Lesnevich

    9/10 Un fait divers épouvantable, et en même temps si banal : Ricky Langley a étranglé le jeune Jeremy et dissimulé son cadavre pendant plusieurs jours. Ricky a également un passé pédophile, et sa confession conclut définitivement son cas. Alexandria Marzano-Lesnevich, étudiante en droit, est férocement opposée à la peine de mort avant de souhaiter avec ardeur que le coupable périsse, aussi s’intéresse-t-elle à cette affaire, avant de se rendre compte qu’elle et Ricky ont bien des points communs.

    Premier ouvrage de l’auteure qui narre à la première personne, cette Empreinte est un bijou de justesse intellectuelle et émotionnelle. De prime abord, on aurait pu penser à un énième livre où un étudiant/journaliste/avocat parvient à rebattre les cartes du procès en découvrant des éléments cruciaux dans les dossiers. Ce n’est pas le cas ici : l’écrivaine va se rendre compte à quel point elle et le suspect ont tant et tant en partage. S’ouvre alors des pages furieuses, incendiaires et incendiées, avec des tranches de vie, secrets de famille et autres horreurs. Un enfant tué d’un accident de voiture, un autre lancé à moto contre un train, une femme alitée et couverte de plâtres mais qui va tout de même accoucher, un grand-père incestueux, une sœur dont on ne révèle que tard l’existence avant d’annoncer qu’elle est décédée à sa naissance, etc. Presque des histoires en miroirs, des résonances, où l’écrivaine distingue les plaies chez Ricky Langley et commence à imaginer que ses plaies, multiples et profondes, semblables aux siennes, font de lui un semblable. Dans le même temps, on ne peut qu’encenser Alexandria Marzano-Lesnevich pour son sérieux et remarquable travail de documentation, reconstituant avec précision et humanité le parcours du criminel, comme le sien, avec un style singulièrement beau et délicat.

    Un livre détonnant, stupéfiant de maîtrise et de densité humaine, où Alexandria Marzano-Lesnevich s’impose, en un seul opus, comme une plume d’exception.

    24/03/2020 à 08:16 3

  • Phobia

    Ouvrage collectif

    8/10 Quatorze auteurs ont prêté leur plume pour ce recueil de nouvelles dont le fil rouge est la phobie, et dont une partie des recettes est reversée à l’association ELA. Un beau bouquet de textes dans lesquels on peut piocher à l’envi. Celle de Nicolas Beuglet (« Le Refuge ») met immédiatement dans l’ambiance : ce sera noir. Après une courte pause avec une histoire loufoque, celle de Jean-Luc Bizien portant sur l’arachnophobie, on replonge aussitôt dans les peurs, parfois intimes, et toujours dépeintes avec des coloris sombres. Armelle Carbonel et son « Lis mes nuits… », Johana Gustawsson, Eric Maravélias ou Maud Mayeras nous offrent de petits bijoux de ténèbres, avec des récits forts et marquants, où la psychologie et ses lézardes nous entraînent dans un tourbillon d’émotions contraires. Olivier Norek nous séduit également avec « Verdict », où une émission de téléréalité extrême nous fait nous confronter aux notions de famille et de dignité. De véritables réussites où, à chaque fois, les écrivains livrent ce qu’ils ont de meilleur pour contribuer à ce spicilège.
    Néanmoins, malgré les indéniables qualités d’ensemble et la variété des intrigues proposées, on regrette que certains textes soient assez éloignés du thème central qu’est la phobie. Sonja Delzongle, avec son « Phobia », nous narre le début de la fin du monde grâce à des observations et réflexions de plusieurs personnages, témoins de l’arrivée d’un astre noir qui va ravager la Terre. Niko Tackian charme en très peu de pages avec cette fiction où un chat va jouer un rôle mortel et inattendu. Ian Manook, dans une verve croustillante à la Michel Audiard et à la Frédéric Dard, nous livre un dialogue certes savoureux où il est question de retrouvailles entre deux gangsters, d’un pactole mis au chaud, de vengeance et de poison, mais où la phobie n’apparaît que de manière capillotractée.
    Une bien agréable corolle de fleurs, où la concision des histoires permet d’y butiner et d’y découvrir de bien agréables moments de folie, de suspense et d’anxiété, malgré la présence de quelques épisodes, non pas plus faibles, mais un peu trop éloignés du fil conducteur du recueil. Phobie or not phobie…

    24/03/2020 à 08:10 3

  • L'Abomination de Dunwich

    Howard Phillips Lovecraft

    9/10 … ou la terrible destinée, dans un village perdu du Massachusetts, de Wilbur Whateley, issu d’une lignée d’individus abâtardis, probablement consanguins. Un physique qui le rapproche de l’animal, une taille qui croît de façon exponentielle et aberrante, et un esprit affûté qui le porte à s’intéresser rapidement à des textes démoniaques, avant que n’apparaisse, dans ce patelin isolé, en 1928, une anomalie irrationnelle qui défraie l’entendement. Je me replonge avec un plaisir total dans les écrits de l’immense H. P. Lovecraft, dont la plume ne cesse de m’ensorceler. Un univers très étrange, lourd des mots employés, où plane toujours des menaces (les apparitions des engoulevents sont magistrales) ainsi qu’un certain nombre de non-dits. Je ne suis pas près d’oublier les descriptions de Wilbur, tout au long des paliers des ans passés, de sa fin, et de cette chose fantasmagorique près de Sentinel Hill (décrite à la fois avec des termes précis, mais, par la magie du vocabulaire de l’auteur, est enveloppée d’une accablante écharpe de mystère). Vraiment brillantissime, même si (une broutille) je suis un peu plus circonspect sur sa façon, artificielle à mes yeux, de rendre le patois et les mots morcelés prononcés par certains autochtones.

    23/03/2020 à 08:16 4

  • NeuN tome 2

    Tsutomu Takahashi

    8/10 Toujours le même régal esthétique, avec des traits remarquables, où s’entremêlent la noirceur et une relecture terrifiante de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. L’entame de ce manga met davantage l’accent sur les enfants que dans le précédent, et certains passages, comme le discours d’Adolf Hitler, sont sidérants de réalisme et d’effroi. Au terme de cet ouvrage relatant les expérimentations sur les gamins (38 d’entre eux sont morts) et apportant plus d’informations sur ce mystérieux « humain synchronisé », je conserve ce même appétit de voir ce que l’opus suivant va me réserver.

    23/03/2020 à 08:15 1

  • Assassination Classroom tome 2

    Yusei Matsui

    7/10 Il ne reste que onze mois avant la mise à exécution de la menace de Kuro. Irina Jelavic, professeure d’anglais, apparaît, avec sa plastique irréprochable, mais sa profession de tueuse est vite annoncée. Sera-t-elle de taille face à ce monstre si rapide et intelligent ? Toujours autant d’humour, c’est vraiment distrayant, et ça ne se prend pas la grosse tête : très agréable entre deux romans noirs ou thrillers. Une légère pointe d’érotisme (Irina étant censée troubler la créature) alors qu’un autre point faible de Kuro est mis à jour. Fort sympathique, je vais poursuivre avec les autres tomes.

    23/03/2020 à 08:14 2

  • Alice in Murderland tome 1

    Kaori Yuki

    6/10 Parce que la tea party mensuelle est une institution au sein de la famille Kuoni, Stella quitte précipitamment son cours pour s’y rendre afin de retrouver ses huit frères et sœurs. Sauf que cette fois-ci, la donne a changé : leur mère, Olga, exige qu’ils s’entretuent, afin que le dernier survivant prenne possession de l’empire industriel et politique de l’empire familial, ainsi qu’une recette d’un produit, l’Elysium, permettant probablement l’immortalité. Un graphisme typiquement manga, assez fouillé, et je me suis vite laissé embarquer par l’histoire. Pas mal d’action, avec de nombreuses références (« Alice au pays des merveilles », Wolverine, Jack l’Eventreur, vampires, « Le Petit Chaperon rouge », etc.). Du point de vue scénaristique, j’ai trouvé ça au final original mais pas particulièrement vibrant. Cela n’a rien d’objectif, c’est juste que ce n’est que moyennement mon genre de came. Mais je continuerai encore, ne serait-ce qu’avec quelques opus supplémentaires, histoire de confirmer ou d’infirmer ce premier sentiment.

    23/03/2020 à 08:13 1

  • Iboga

    Christian Blanchard

    7/10 … ou comment Jefferson Petitbois, enfant de la balle et condamné pour le meurtre de onze SDF et le viol d’une jeune femme, échoue en prison avant de lentement se confier sur son parcours criminel et sa relation avec un dénommé Max et la terrible drogue qu’est l’iboga. Je découvre la plume de Christian Blanchard avec ce livre dédicacé et offert par des copains, et je suis plus que séduit. Des mots, souvent simples, mais qui éclatent, lacèrent, forent. On y suit les vingt-trois années de détention de Max, et les rencontres qu’il va faire : un gardien avec lequel il va se lier d’amitié, Jean, la psychiatre Marie-Jeanne Delaboissière, le maton raciste et cruel Chef Martin, etc. Pour le coup, des personnages pas spécialement originaux, mais qui permettent, à mes yeux, de bien mettre en relief la sociabilité naissante et à géométrie variable de Jefferson, en fonction de ses interlocuteurs. C’est également l’occasion d’une plongée dans sa psyché et la genèse du tueur qu’il est, indéniablement, échappant de peu à la guillotine, avant de lentement se laisser aller à des confidences, avec la psy, avec Jean, et surtout avec lui-même. L’emprise de ce terrible et mystérieux Max (existe-t-il seulement ?), l’usage répété de cette drogue qu’est l’iboga et les ravages sur l’entendement (et l’organisme, mais c’est une autre histoire…) de Jefferson, et, au final, comment ce gosse abandonné et terriblement réticent aux bras que lui offre une société qui l’a rejeté, pris sous l’aile d’un oiseau de très mauvais augure, en est venu à devenir une herbe folle puis une plante carnivore. Une œuvre employant des termes assez simples, je l’ai déjà dit, mais qui s’emboîtent habilement pour construire ce sentier de sang et de mort, jusqu’au final, dans les toutes dernières lignes du roman. J’aurais aimé quelques profils psychologiques plus atypiques dans les personnages que Jefferson côtoie, quelques rebondissements (même si ça demeure un roman noir et non un à suspense), une exploitation plus scientifique ou approfondie de cette drogue et du rituel bwiti, ou alors des révélations plus détonantes ou inattendues, bref, un peu plus de piment ou de surprenant pour ce portrait qui n’en demeure pas moins réussi, décrit à la première personne, et, à sa façon, savoureux.

    16/03/2020 à 08:46 3

  • Détective Conan Tome 65

    Gosho Aoyama

    7/10 La suite et fin de l’intrigue entamée dans l’opus précédent, avec l’apparition de Kaito Kid : rien d’exceptionnel, mais j’ai bien aimé les diverses manipulations autour de ce coffre-fort ancien et réputé inviolable. C’est dynamique, quoi. Ensuite une attaque dans une banque et une prise d’otages : rien de très nouveau avec cette idée de cambriolage et de substitution preneurs d’otages / otages, mais ça reste très agréable. Puis deux amis de Conan sont pris en stop, mais la conductrice et son passager semblent manigancer quelque chose à propos du jeune détective : un rebondissement inattendu quant à l’identité de ces deux personnages permet de basculer sur l’enquête du « mur rouge » maculé d’un rouge sang. Lequel de ces quatre artistes en résidence a ainsi pu ligoter ses deux victimes ? Une intrigue très prenante, quoiqu’inachevée, qui donne très envie d’en lire la conclusion dans le tome 66.

    16/03/2020 à 08:44 1

  • Fool's Paradise tome 2

    Misao, Ninjyamu

    7/10 La machination de Sela apparaît de manière évidente aux yeux de l’un des personnages. Un enlèvement vient relancer l’intrigue, et la manipulation (ou plus exactement, sa motivation) se montre également. Un graphisme toujours aussi réussi et une intrigue intéressante car originale et ayant le mérite de poser de légitimes questions quant à la violence, l’engagement individuel, la société, et le fait que l’Enfer est décidément bien souvent pavé de bonnes intentions.

    16/03/2020 à 08:44 1

  • Au Feu, les Pompiers

    M. J. Arlidge

    9/10 Une série d’incendies criminels vient embraser la ville de Southampton. Aucun fil directeur en les victimes, ni dans les zones touchées. Mais après les blessés, des décès sont à compter. La commandant de police criminelle Helen Grace et son équipe enquêtent sur cette affaire, qui réserve encore autant de combustions que de surprises.

    Ce quatrième volet de la série consacrée à Helen Grace séduit d’entrée de jeu. La plume de M. J. Arlidge est un festin : une écriture sèche et haletante, des chapitres diablement courts (cent quarante-deux pour un peu moins de cinq cents pages), et une variété des points de vue qui alternent à un rythme effréné. On se prend de passion pour l’héroïne, particulièrement douée, sagace et opiniâtre, et meurtrie par des penchants sadomasochistes. Les personnages sont tous léchés, croqués avec beaucoup de simplicité et de crédibilité, offrant ainsi une vaste palette humaine de tourments et d’épaisseurs psychologiques : l’écrivain évite avec intelligence le piège des individus sans âme, piètres faire-valoir des principaux protagonistes. On notera, notamment, la présence d’Emilia Garanita, journaliste machiavélique, prompte à dégainer des articles provocants. L’intrigue est singulière, parfaitement charpentée, jalonnée de multiples rebondissements, et qui allie vraisemblance et subtilité : sans vouloir rien dévoiler, le dénouement est en soi un modèle d’intelligence et d’étonnement, avec à la clef un épisode très poignant.

    Malgré son titre français très dispensable, cet ouvrage de M. J. Arlidge est un véritable bijou de malice et d’émotion. De quoi amplement donner envie de s’attaquer à d’autres opus de la série.

    15/03/2020 à 08:01 5

  • Salut à toi ô mon frère

    Marin Ledun

    7/10 Dans la famille Mabille-Pons, je demande la mère et le père, respectivement infirmière saugrenue et au farouche engagement politique, et clerc de notaire dont la modération vient tempérer les élans de son épouse. Ils ont six enfants, dont Rose, travaillant dans un salon de coiffure où elle lit des textes pour le grand plaisir des clientes. Mais au sein de cette progéniture, il y a également Gus, adopté, d’origine colombienne, qui vient de s’illustrer lors du braquage d’un bureau de tabac et qui a disparu juste après. Il est le coupable parfait aux yeux de tous, sauf à ceux de sa famille. Et c’est notamment Rose qui prend le sentier de la guerre pour retrouver son frangin et prouver son innocence.

    Huit ans après La Guerre des vanités, Marin Ledun revient dans la ville de Tournon, mais sur un ton bien différent de ses autres ouvrages. En effet, l’auteur, entre autres, des puissants Modus Operandi, Marketing viral, Les Visages écrasés et L’Homme qui a vu l’homme opère un virage osé dans sa bibliographie, en signant cet opus sacrément décontracté et jubilatoire. Des personnages croustillants, qui n’engendrent à aucun moment la mélancolie. Des dialogues cocasses. Des situations drolatiques. De délicieux moments d’humour, d’autant plus réussis qu’ils étaient vraiment inattendus de la part d’un écrivain aussi engagé, et aux écrits habituellement si sombres. On retiendra de nombreux moments très amusants, comme les relations tendues, même si cela n’empêche nullement un profond attachement, entre les Mabille-Pons, ou encore les échanges de SMS entre Rose et le lieutenant Personne, devenu son amant, où le policier se voit opposer à chacun de ses messages des propositions coquines. Dans le même temps, si la forme est indéniablement distractive et réjouissante, l’intrigue déçoit un peu. Elle se réduit même à une portion indigente tandis que de nombreux clichés – certes assumés et répondant toujours aux engagements politiques et sociétaux de Marin Ledun, comme le racisme, la lutte contre les inégalités, les préjugés, etc. – sont véhiculés au gré des chapitres. Mais soyons parfaitement honnêtes : quand s’achève l’ouvrage, on en retient bien plus son souffle de décontraction que son aspect purement policier, et on est sincèrement heureux d’avoir davantage mobilisé ses zygomatiques que ses cellules grises.

    Un bon moment de détente littéraire, ponctué de nombreuses références littéraires, cinématographiques et musicales, qui démontre une autre facette du talent de Marin Ledun. On retrouvera d’ailleurs bien volontiers la suite des aventures de Rose dans l’ouvrage La Vie en Rose.

    15/03/2020 à 07:53 6

  • Jack et la conspiration du dragon

    James R. Hannibal

    7/10 A peine remis de ses exploits de Jack et le mystère des rubis, notre intrépide traqueur, accompagné de Gwen, a toujours la douleur de voir son père plongé dans le coma. Mais un autre adversaire émerge : le terrible Ignatius Gall, qui cherche à s’approprier le secret d’un ancien empereur chinois. Et ce n’est rien moins que l’immortalité.

    Ce troisième ouvrage de la série Section 13 réunit tout ce qui a fait le succès des opus précédents. On retrouve ainsi notre jeune Jack, un traqueur qui va ici se découvrir d’autres pouvoirs incroyables. L’univers de l’auteur, James R. Hannibal, panache avec toujours autant de plaisir des univers variés comme ceux d’Arthur Conan Doyle et de J. K. Rowling, sans oublier quelques gadgets dignes de Ian Fleming, pour un récit mené à toute allure et sans le moindre temps mort. De l’Angleterre à la Chine en passant par l’Autriche, il devra mener de multiples (en)quêtes jusqu’à retrouver la trace d’un nouvel ennemi, déjà mêlé à ses précédentes péripéties. Une écriture échevelée et immédiatement addictive, pour peu que l’on adhère à ce patchwork littéraire entrelaçant la magie, les monstres, l’aventure et le suspense, et qui ne pourra que réjouir le lectorat traditionnel de l’écrivain.

    Une nouvelle dose de sensations fortes et de confrontations merveilleuses, au sens propre comme au sens figuré, pour ce roman dont l’épaisseur – toute relative – est amplement compensée par le rythme de lecture qu’il impose.

    15/03/2020 à 07:51 1

  • Trafic au Cimetière

    Elie Darco

    8/10 Noa et Louis sont des collégiens très copains. Ensemble, ils s’occupent en travaillant au cimetière de Butte-Ombreuse, dans la ville de Morneville. Des fleurs à arroser, à déplacer, à rempoter. L’argent de poche tombe, ils passent de bons moments et en profitent même pour faire du bobsleigh avec leur chariot au milieu des tombes. Mais quand un vieux monsieur est agressé dans le cimetière puis décède à l’hôpital, ils se doutent que quelque chose ne tourne pas rond, aussi se mettent-ils à enquêter.

    Après le très bon La nuit tous les jouets sont gris, Elie Darco nous revient avec ce polar. Un ouvrage particulièrement agréable à lire, et sans le moindre temps mort. On y fait la connaissance de Noa et de Louis (enfin, pas exactement, puisque Noa apparaissait déjà dans l'opus précité), de sacrés garnements aux caractères et trajectoires bien marqués et différenciés, et qui vont se mettre à mener leur propre investigation sur cette mort suspecte. Que peut-il bien se passer dans ce village au nom si pertinent ? Existe-t-il un agresseur qui se balade entre les caveaux ? Cherche-t-on à dissimuler un trafic ? Elie Darco mène l’histoire de façon très crédible et efficace, sans oublier les nécessaires touches d’humour et de suspense. Et la résolution de l’intrigue se permet le luxe d’être à la fois intelligente, plausible et originale.

    Un opus destiné à la jeunesse très réussi, aussi prenant que divertissant. On se donne déjà rendez-vous pour les prochains tomes de la série consacrée aux enquêtes à Morneville.

    15/03/2020 à 07:46 1

  • Maharajah

    M. J. Carter

    9/10 Inde, 1837. La Compagnie britannique des Indes a développé son emprise sur tout le territoire national. Première véritable multinationale de l’histoire, elle détient autant de pouvoir commercial que politique. Cette entité tentaculaire charge le jeune officier William Avery de retrouver Xavier Mountstuart, écrivain à la renommée aussi prestigieuse que sulfureuse. Il s’adjoint l’aide de Jeremiah Blake, expert des mœurs indiennes et redoutable limier. Il semblerait que Mounstuart ait disparu alors qu’il cherchait, au fin fond du pays, les terrifiants thugs, les adorateurs de la déesse Kali.

    Ce roman de M. J. Carter séduit dès les premières pages où souffle un puissant vent d’exotisme et d’aventure. Le lecteur est aussitôt happé par les ambiances délétères peintes par l’écrivain : Calcutta en proie à une chaleur éprouvante et meurtrière, tandis que sévissent les crimes attribués aux thugs et les maladies. Deux personnages émergent rapidement de ce récit étouffant : William Avery, naïf, méconnaissant les coutumes locales, trop souvent saoul et constamment endetté. Il pense trouver un moyen d’échapper en répondant affirmativement à la requête de cette monstrueuse East India Company et en faisant équipe avec Jeremiah Blake. D’abord loque humaine, cette énigme ambulante en vient à retrouver de sa superbe au gré de leur intrusion en territoire thug, traversant d’est en ouest la contrée. Un état gigantesque, ravagé par la corruption, diverses formes de ségrégation, les trahisons à tous les niveaux, sans parler des luttes de pouvoir, parfois intestines, parfois liées aux ingérences étrangères, et de la terrible faune locale. M. J. Carter a amassé un savoir remarquable sur l’époque et les lieux, rendant avec maestria le paysage, l’atmosphère et les usages. Sa documentation s’appuie sur des ouvrages majeurs, et il pousse la démonstration – enrichissante, jamais stérile ou inutilement démonstrative – jusqu’à proposer à la fin du livre, en plus de solides sources, un glossaire d’environ quatre-vingts mots indiens. Véritable roman d’aventure, dépaysant de bout en bout, il s’offre le luxe de produire, en plus de l’évasion propre à ce type de littérature, une histoire solide, dont le cœur est brillant. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une intrigue policière, mais la révélation du complot stupéfiera plus d’un lecteur, car elle est à la fois diablement originale et historiquement pertinente, en plus d’être mémorable et particulièrement intelligente.

    Malgré quelques longueurs que d’aucuns jugeront probablement superflues, voilà un livre passionnant et insigne, à la fois instruit et parfaitement mené. Des panoramas tantôt splendides, tantôt anxiogènes. Des personnages forts et denses. Un complot astucieux et efficace. Nous tenons peut-être là un jalon dans la littérature d’aventure.

    05/03/2020 à 09:45 4

  • L'Heure bleue

    Celia Fremlin

    8/10 Louise et son mari Mark n’en peuvent plus. Leur nouveau-né, Michael, passe son temps à pleurer. Ce tintamarre incessant détruit le sommeil des deux époux Henderson, en plus de créer de fortes dissensions. Ils acceptent la présence d’une colocataire chez eux, Vera Brandon, une jeune femme qui présente bien. Mais rapidement, Louise se rend compte que quelque chose cloche chez cette inconnue, et qu’elle pourrait même constituer une menace pour sa famille.

    Ce roman de Celia Fremlin date de 1958, et l’on s’en rend vite compte. En effet, le langage y est délicieusement suranné, so british, avec un style que n’aurait nullement renié, entre autres, Agatha Christie. C’est donc avec subtilité, sans éclat de sang ni effet pyrotechnique, que le lecteur apprend à connaître le foyer Henderson, constitué du couple et de leurs trois enfants, dont le dernier se montre particulièrement volubile et sonore. Les affres de la paternité et maternité, le repos en berne, les cauchemars, le voisinage qui proteste, etc. Le décor est planté quand arrive cette mystérieuse miss Brandon, dont l’attitude va progressivement soulever, chez Louise, un vent d’angoisse. N’a-t-elle fait que répondre à la petite annonce ou bien essaie-t-elle de dissimuler un sombre dessein ? Qui est-elle réellement ? Et que cherche-t-elle ? L’angoisse est progressive, les personnages intelligemment croqués, et l’on comprend vite qu’un piège est en train de fondre sur notre petite famille. Une intrigue solide, très crédible, et qui donne lieu à des scènes très prenantes, comme ces moments où Louise pense s’être fait subtiliser Michael, ou ce vingt-deuxième chapitre où elle parcourt le journal intime de miss Brandon.

    Un roman brillant et efficace de la part de Celia Fremlin. Un sexagénaire d’une fort belle tenue, distingué et ne tombant jamais dans la surenchère. Une réussite littéraire qui mérite amplement d’être (re)découverte.

    05/03/2020 à 09:44 2

  • La Malédiction du gitan

    Harry Crews

    8/10 Marvin Molar n’est pas un homme que l’on oublie de sitôt. Hercule de foire au physique improbable, jeune et gagnant sa vie grâce aux exhibitions qu’il réalise avec son physique atypique, il est entouré d’autres personnages improbables. Une existence curieuse, sans véritablement penser au lendemain. Mais il se peut que la belle et désirable Hester ne catapulte Marvin dans le mur… et le meurtre.

    Harry Crews est un des écrivains américains les plus inclassables qui soient, à moins qu’il ne soit tout simplement le plus original, tout bonnement. Auteur d’ouvrages proches du polar (Le Chanteur de gospel ou La Foire aux serpents), mettant en scène des individus complètement abracadabrants (Le Roi du K.O.), vilipendant le consumérisme (Car), ou avec son lot de losers malheureux (Des Savons pour la vie), il s’est toujours intéressé à la face cachée de l’Amérique, avec ses antihéros, ses individus ambivalents, ses délicieux fêlés et ses freaks. Marvin Molar est né muet puis a également perdu l’ouïe, avec deux petites jambes ridicules de quelques centimètres, ne pesant qu’une quarantaine de kilos, et a poussé de la fonte comme un forcené jusqu’à obtenir des tours de biceps d’une cinquantaine de centimètres pour compenser ses handicaps. Il est entouré de Leroy, un brave boxeur qui est persuadé d’être un excellent sportif, Pete, un Noir qui a pris trop de coups sur le coin de la figure, et Al, son père adoptif, dont le physique de colosse a été massacré suite à une performance où il s’est fait rouler – volontairement – dessus par un véhicule. Un groupe homogène en raison de ses infirmités et errements, et hétérogène au vu de ce qu’ils attendent de la vie. Mais c’est la belle Hester, avec ses jambes et ses seins à se damner – même si Marvin, son fan numéro un, est le premier à reconnaître que son visage est beaucoup plus banal – qui va venir mettre le feu aux poudres, en raison de ses liaisons. Une écriture complètement folle, foutraque, presque hallucinée, où l’argot est la langue première. Des protagonistes extravagants qui se rencontrent, s’accolent, s’accrochent, se télescopent. Et des désirs également. Du sexe. Du muscle. De la testostérone. Des appétences criminelles et des jalousies. Les dernières pages constituent le feu d’artifice de ce roman détonnant, où explose la violence. Comme une évidence. Comme une nécessité. Comme un trop-plein que l’on vide après près de deux cents soixante pages d’appétits insatisfaits, de destinées contrariées, de vies stériles.

    Un opus aussi insolite que ne l’a été son auteur, sublime porte-parole des sans-voix, portraitiste des visages méconnus ou volontairement mis de côté. Ce livre ne plaira certainement pas à tout le monde, mais pour ceux qui apprécient les ouvrages qui cherchent moins à séduire qu’à frapper les esprits de manière durable, voilà une lecture qui en devient indispensable.

    05/03/2020 à 09:41 6

  • La Maison sans sommeil

    Thibault Vermot

    9/10 Paul, douze ans, est obligé de déménager avec sa famille et s’installe dans une nouvelle maison, à Loupviers, en Normandie. Mais sur place, le cauchemar commence. Paul entend d’étranges bruits dans la demeure, en plus d’être la proie de terrifiantes hallucinations nocturnes. Serait-il seulement victime de somnambulisme, comme le pensent ses parents ? Ou la petite fille aperçue lors de ses apparitions existe-t-elle vraiment ?

    Casterman s’est lancé un nouveau défi : sortir une collection, Hanté, à même de faire frissonner ses jeunes lecteurs. C’est Benoît Malewicz, pseudonyme de Thibault Vermot, et Rolland Auda avec L’Amie du sous-sol, qui dégainent les premiers. Et ce n’est qu’un euphémisme que dire que cette Maison sans sommeil est une réussite totale. Le postulat de départ semble assez simple, voire convenu et rabâché, mais ce qu’en fait son auteur est un pur délice de littérature. Des personnages simples et instantanément indentifiables, pour lesquels on ne peut que ressentir de l’intérêt et de l’empathie. Une écriture très efficace, qui fait monter la tension, avec un vocabulaire sans fioriture mais terriblement prenant. Des scènes particulièrement soignées, propres à faire dresser les poils des jeunes – et moins jeunes – lecteurs : on se souviendra ainsi longtemps du passage de Paul dans la baignoire, ou encore ce final, à plusieurs tiroirs, sacrément mouvementé et diabolique. C’est bien simple : on a très souvent l’impression de lire la novélisation – avec beaucoup d’âme et de talent – d’un film d’horreur destiné à nos juniors. Il ne faut d’ailleurs pas se méprendre sur la teneur de cet ouvrage : cela n’a par exemple rien à voir avec les écrits de R. L. Stine. Ici, c’est dru, dense, fort, sans la moindre concession faite aux plus jeunes lecteurs. A cet égard, l’épilogue le démontre aisément : aucune réponse fournie avec facilité, un suspense âpre, et la nécessité de réfléchir à ce que Thibault Vermot aura voulu faire germer en chaque lecteur.

    Une bien belle réussite littéraire, propre à tailler des croupières aux écrivains américains. Peut-être tenons-nous là le premier jalon, fort bien né, d’une collection qui pourra s’inscrire dans la durée. Si les autres opus sont de la même qualité, nous ne pouvons que nous en réjouir.

    04/03/2020 à 07:09 3

  • Passé décomposé

    Charlie Adlard, Robert Kirkman

    7/10 Un opus qui commence par un policier, Rick Grimes, blessé lors d’une intervention, sort de son coma dans le Harrison Memorial Hospital dans et autour duquel stationnent des zombies, tandis qu’une étrange épidémie semble s’être abattue sur les villes alentour. Rick va alors chercher à retrouver sa femme et son fils. Une histoire sympa et vite addictive, un graphisme plaisant, et une aventure qui se met en place d’entrée de jeu. J’ai d’ailleurs été agréablement surpris, tant par la qualité esthétique que par les dialogues et situations, et y ai trouvé tout ce qui devait l’être chez les divers protagonistes : les moments d’ébahissement, les stratégies pour survivre, les sentiments de désespoir, les affrontements avec les morts-vivants, quelques passages assez émouvants (cf. le souhait de Jim), etc. Probablement pas une littérature qui me fait me lever la nuit, ni rien de franchement nouveau quant à ce qui concerne les zombies, mais c’est distractif et assez addictif. Je vais poursuivre avec les tomes suivants.

    01/03/2020 à 18:21 3

  • Le Train de Venise

    Georges Simenon

    8/10 … ou comment Justin Calmar, ancien enseignant et désormais cadre dirigeant, en vient à récupérer une mallette qu’il doit transporter jusqu’à Genève et la donner à une dénommée Arlette Staub. Sauf qu’il découvre cette dernière morte. Assassinée. Et ce n’est que plus tard qu’il se rend compte que la valise contient une énorme quantité d’argent. Présentée comme ça, cette entame ressemble beaucoup à un polar pur jus, avec cette histoire d’argent qui ressemble beaucoup à ce que la littérature noire ainsi que le cinéma des années 1950 ou 1960 a pu produire. Cependant, Georges Simenon ne s’intéresse guère par la suite à ce potentiel policier, se consacrant presque exclusivement aux errements, questionnements, introspections de Calmar. Il en vient à multiplier les interrogations quant à ce qu’il doit faire, puis s’il doit ou non utiliser cette manne afin d’en faire profiter sa famille. Il ira même jusqu’à sonder son propre passé de professeur, notamment dans sa relation avec le dénommé Mimoune. Paranoïa, anomie, vide existentiel : notre « héros » (j’emploie les guillemets car c’est un être on ne peut guère plus plausible, et dont la crédibilité se démontre dans des instants très communs, depuis sa relation avec ses deux enfants et sa femme jusqu’à son travail). En fait, c’est surtout la déchéance d’un être que nous croque Georges Simenon, son impuissance, et la découverte, sacrément brutale et soudaine, de l’inanité de sa vie. Je connaissais, comme beaucoup, le talent de l’auteur pour souligner les absurdités d’une destinée, les affres d’un quotidien grotesque, les faux-semblants et l’hypocrisie sociale, mais là, malgré quelques lenteurs à mon goût, il s’illustre ici à mettre en exergue les bonheurs captieux avant la brutale prise de conscience et le terrible retour à la réalité : même si je ne suis pas persuadé de me souvenir longtemps des articulations de ce livre, je ne suis pas prêt d’oublier le final, avec cette « maigre silhouette rouge, une petite fille qui agitait la main tout en suçant un cornet de crème glacée ».

    01/03/2020 à 18:18 1

  • Duds Hunt

    Tetsuya Tsutsui

    7/10 … ou comment un jeu en ligne soi-disant cathartique, exploitable via son téléphone portable, avec une sympathique somme à la clef, tourne au massacre et aux multiples combats. Nakanishi, le protagoniste de ce manga, va lentement se laisser happer par l’appât du gain et entrer dans un tourbillon d’une violence généralisée. Si j’ai bien aimé le scénario, l’espèce d’addiction de ces Japonais pour l’argent tout autant que pour ces affrontements à la chaîne, je suis moins convaincu par le graphisme qui n’appuie pas assez à mes yeux la noirceur et la sauvagerie de cette société en pleine déliquescence (mais peut-être est-ce dû à l’âge de l’ouvrage, datant de 2002).

    01/03/2020 à 18:17 1