El Marco Modérateur

3219 votes

  • Maigret tend un piège

    Georges Simenon

    9/10 Cinq : elles sont déjà cinq femmes à avoir été poignardées dans un même quartier par un même tueur en série qui échappe à la police. Même Maigret, en panne d’indices, est obligé d’avoir recours à un subterfuge (faire arrêter un faux suspect, en réalité un ancien collègue revenu des colonies) pour pousser le dément dans ses derniers retranchements psychologiques. Mais une sixième agression perpétrée sur une policière en civil, une sorte d’appât, va venir rebattre les cartes avec la découverte d’un bouton de veste qui va en dire bien plus que prévu.
    Un excellent opus, remarquable, où George Simenon, dès 1955, avait beaucoup d’avance sur son époque et la littérature policière en général. Quelques exemples : la discussion avec le professeur Tissot, dans le deuxième chapitre, posait déjà les bases de la psychologie criminelle et des démons qui peuvent agiter de tels maniaques. Il y a également le côté scientifique, avec l’étude du bouton, de la brûlure du veston, du fil, etc. qui devancent sans mal un sacré paquet de romans policiers mettant en avant la science forensique. J’avais déjà vu deux adaptations (avec Jean Gabin et dialoguée par l’immense Michel Audiard, ainsi que celle, télévisée, avec Bruno Cremer), mais mon plaisir n’en a pas été diminué. Une excellente lecture psychologique de ce pâle Marcel Moncin, aussi anecdotique physiquement et professionnellement que redoutable lorsque pris de l’une de ses pulsions, pris en tenaille entre une mère castratrice et une épouse connue trop jeune et également possessive, qui vont pousser cet individu impuissant à s’en prendre « aux femelles dominatrices ». Un ouvrage détonant, exceptionnel, qui aurait également pu s’intituler « La robe était bleue ». Assurément l’un de mes préférés de l’écrivain, qui porte en lui, en cent cinquante pages, tant de graines qui ont depuis poussé et ont amplement nourri ultérieurement tant et tant d’auteurs. Un jalon.

    24/03/2024 à 19:22 4

  • Dead Tube tome 20

    Touta Kitakawa, Mikoto Yamaguchi

    4/10 Une entame qui mêle whodunit à la Agatha Christie et monde si particulier de « Dead Tube ». Le début est un peu bavard jusqu’à ce qu’arrivent les plats dont un contient du poison… enfin, prétendument.
    J’ai trouvé ce vingtième tome assez mou malgré la belle esthétique, et la présence de cette voyante, du baron tête-de-mort et cette séance de cosplay ne relèvent qu’à peine la saveur de cet opus bien fade.

    23/03/2024 à 18:14 2

  • La Ville des proies

    Blake Pierce

    5/10 New York, juillet 1929. Ava Gold est en train d’enterrer son époux, Clarence, policier abattu à l’âge de trente-quatre ans par un inconnu qui a réussi à prendre la fuite. Elle reste seule avec leur fils Jeffrey de neuf ans et Roosevelt Burr, son père, boxeur. Pour subvenir aux besoins financiers du foyer et espérer mettre la main sur l’assassin de son mari, Ava demande à intégrer la police, ce que le capitaine Douglas Minard accepte, la flanquant dans le Bureau des Femmes. Le rôle de ces dernières est avant tout préventif, devant faire des rondes sans pour autant intervenir en cas de besoin. Mais voilà que surgit un tueur en série qui use de la hachette…
    Un énième ouvrage de Blake Pierce, où j’ai retrouvé sans mal la structure habituelle de ses récits : une héroïne jeune, un serial killer, interrogatoires et courses-poursuites. L’ensemble est plutôt bien mené, rien à redire à ce niveau-là, et pour qui n’est pas trop regardant, il y a amplement de quoi se satisfaire de ce modeste opus. Néanmoins, j’ai été très déçu par la transposition historique qui, ici, est très faiblarde : à quelques détails près, l’histoire aurait pu se passer de nos jours qu’on ne l’aurait pas vraiment remarqué. Une sacrée lacune dans la documentation préparatoire autant qu’au niveau de la restitution. Parallèlement, Ava Gold – aimable clin d’œil à Ava Strong et Kate Bold, romancières sorties du même incubateur à écrivains que leur collègue ? – est assez peu crédible : championne de boxe, chanteuse de jazz, même si elle commet des erreurs, n’en reste pas moins invraisemblable en femme lambda catapultée dans le NYPD et capable aussitôt de grandes réussites professionnelles. Quant au tueur, c’est le rabâchage du taré obsédé par le spectre de sa vilaine maman. Bref, vraiment rien de sensationnel, et même un gâchis certain par rapport au tueur en série évoqué et au côté historique de ce roman.

    21/03/2024 à 19:39 4

  • Écouter le noir

    Ouvrage collectif

    8/10 De manière globale, j’ai apprécié ce recueil. Dans le détail : un inattendu et très bon récit de la part de Laurent Scalese (le côté fantastique et superpouvoirs m’a surpris puis séduit), idem pour celui de Cédric Sire (bien tourné avec ce romancier au retour triomphal confronté à un geôlier acharné à vouloir connaître son fameux secret d’écriture), de mesdames Abel et Griebel (qui ouvre d’ailleurs le bal : hautement symbolique avec la fuite de ces deux ados et le drame qui va survenir), le fameux « hum » de Sonja Delzongle (j’avais entendu parler de ce phénomène, j’ai adoré le traitement de l’écrivaine). Maud Mayeras m’a vraiment secoué avec son récit, quelque part entre « Shining » et « La Loi du talion », fort et marquant. Sophie Loubière a habilement joué sur les codes de l’adultère et de la vengeance dans son texte que j’ai trouvé classique mais efficace. Même mention pour celui de François-Xavier Dillard, avec son histoire de morceau inédit et maudit de Tchaïkovski, ou encore celui de R. J. Ellory, bien troussé mais un peu attendu dans son final. Le texte de Romain Puértolas est bien marrant, marquant une sorte de bulle cocasse au sein de l’ouvrage même si la chute est un peu prévisible. Après, la nouvelle de Jérôme Camut et de Nathalie Hug, un peu trop SF à mon goût de béotien en la matière, m’a laissé assez froid : il est bon, certes, mais ça n’est juste pas du tout ma came. Enfin, la nouvelle de Nicolas Lebel m’a déçu : le côté métaphorique de ce chantier m’est apparu, certes, mais ça manquait selon moi de mordant, d’acide ou de noirceur. Bref, pour résumer, un très bon spicilège, hétérogène dans les thèmes comme dans les qualités des nouvelles présentées, mais l’ensemble m’a beaucoup plu.

    20/03/2024 à 18:49 3

  • L'Option lybienne

    Jean-Claude Bartoll, Munch

    5/10 Air Force One vient d’être la cible d’un attentat terroriste : voilà une amorce prometteuse pour ce douzième et dernier tome de la série. Najah est dans la foulée victime à son tour d’une attaque ayant pour cible l’avion qu’elle a emprunté. Comme je le disais pour le précédent opus, je ne trouve pas que le fait que le dessin ait été confié à Munch n’est pas particulièrement une bonne idée (je le trouve moins efficace que Renaud Garreta). Quant à l’histoire, elle est un peu comme les autres : assez consistante et nerveuse, même si notre héroïne y est nettement moins impliquée qu’auparavant. Un final qui n’apporte pas toutes les réponses attendues (et pose même une question majeure quant au sort de Najah), sachant que cela permet d’enclencher la saison suivante. Bref, un final plutôt raté selon moi.

    19/03/2024 à 18:50 1

  • La Vallée

    Bernard Minier

    8/10 Le commandant Martin Servaz a connu des jours meilleurs (dire comme Franck 28 qu’il est « au mieux de sa forme » me paraît pour le moins surprenant…) : il fait l’objet d’une lourde enquête interne et risque sa carrière, son sevrage tabagique tient difficilement la route, son fils continue de présenter une grave maladie, et c’est alors que l’improbable se produit : un coup de fil émanant de Marianne le conduit à Aigues-Vives où elle serait retenue. Mais le cauchemar ne fait que commencer : Timothée Hosier et Kamel Aissani ont été retrouvés assassinés, l’un noyé au pied d’une cascade, l’autre avec un poupon planté dans l’abdomen. Non, décidément, Martin Servaz n’en a pas fini avec le malheur.
    Même moi qui suis loin d’avoir lu tous les ouvrages de Bernard Minier (doux euphémisme), j’ai pu sans mal raccrocher à la série consacrée à Servaz, notamment grâce aux notes de bas de page qui permettent de comprendre les références évoquées au fil du récit. Un récit que j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié : un style fort, une plume alerte, des personnages plutôt nombreux mais chouettement décrits, et une ambiance sacrément pesante. Il faut dire qu’il s’en passe de (pas) belles, dans cette vallée : des morts atrocement exécutés, une avalanche qui place le village en total isolement, une étrange abbaye, une psychiatre méchamment dégourdie, une milice d’autodéfense qui se dresse pour contrecarrer le chaos quitte à le créer, de vieilles histoires qui reviennent à la surface, des confessions auprès de l’abbé comme des dossiers médicaux pour le moins épineux… Un cocktail détonnant, d’autant que Bernard Minier maîtrise le récit, son architecture, ses rouages, jusqu’au dénouement, bien trouvé et qui fait frissonner (juste un léger reproche : le coup des symboles découverts près de l’un des cadavres mettait un peu sur la piste, non ?). Pour le reste, malgré un élagage qui aurait permis de se débarrasser de quelques volées de pages superflues à mon avis, voilà un thriller très efficace, entretenant le feu de cette série vers laquelle je me tournerai à nouveau, et qui multiplie les réflexions que je trouve pertinentes (ou du moins avec lesquelles je suis en complet accord), notamment sur les conditions de travail des policiers ou des maires. Bref, un très bon thriller, percutant et avec un mobile des meurtres implacable.

    18/03/2024 à 20:00 7

  • Mon mari dort dans le congélateur tome 1

    Hyaku Takara, Misaki Yazuki

    6/10 « Un soir d’été, durant un festival, j’ai tué mon mari » : c’est ainsi que commence ce manga qui explique comment Nana a assassiné Ryô, celui qui est son époux depuis quatre ans et qui la battait. Elle l’a drogué puis étranglé avant de mettre son cadavre au congélateur. Mais quand elle se pensait enfin libre et heureuse, Ryô, réapparaît comme si de rien n’était. Que s’est-il réellement passé ?
    Un graphisme assez simple (même pour les scènes de violences conjugales et de cannibalisme où Nana intègre la viande du congelé dans les bentos de son mari) et un scénario plutôt classique mais le suspense est intéressant et l’arrivée de Kamata vient (peut-être ?) apporter une touche de mystère supplémentaire. Plaisant et facile à lire, je vais poursuivre avec le second tome.

    17/03/2024 à 18:23 1

  • La Mort et le mourant

    Lucio Leoni, Olivier Peru

    8/10 Un tome 0 qui permet un focus sur Serge LaPointe, vu ailleurs dans la série, acteur déchu de films d’horreur ici à Saint-Pétersbourg quand un flot de morts-vivants déferle. Quand la réalité dépasse la fiction… Ce qu’il faut d’action, de courses-poursuites en voiture et autres ingrédients nécessaires au cocktail du genre (armée en déroute et faisant feu sur des civils, état de siège, etc.). Au début, j’étais un peu dubitatif quant à cet épisode isolé au sein de la série, mais j’ai finalement apprécié ce zoom sur ce personnage qui a vécu hors-sol avant d’être plongé dans l’horreur, la vraie. Et le final est également très bon et très fort, où les auteurs ne plient pas devant le mythe du héros et son passage presque obligé dans ce type de littérature : les êtres humains, en proie à un dilemme, peuvent choisir la solution opportuniste, individualiste et égocentrée tout simplement parce qu’ils ont la trouille.

    17/03/2024 à 18:22 1

  • Denjin N tome 4

    Kazu Inabe, Yuu Kuraishi

    8/10 Le jour du concert des Fées approche à grands pas tandis que le monde a plongé dans la paranoïa et s’est soumis au chantage de Nasu devenu « N » (amusant de voir Trump, Poutine, Xi Jinping et la Reine Elisabeth contraints d’assister les uns à côté des autres à cet événement). Une entame originale, sans la moindre goutte de sang jusqu’à ce que le prédateur numérique ne vienne empaler l’une des chanteuses avec un élément du décor. Un final intéressant pour ce quatrième opus d’une série que j’ai adorée : ce tome est peut-être un cran en dessous des précédents (la dernière planche et ce qui y apparaît étaient vraiment trop prévisibles) mais il n’en demeure pas moins très bon.

    16/03/2024 à 19:33 2

  • Le Dernier Festin des vaincus

    Estelle Tharreau

    9/10 Nul ne sait où est passée Naomi Shehaan, seize ans, membre de la réserve indienne de Meshkanau. Sur place, la misère est endémique, l’addiction à la drogue et à l’alcool également, et l’on ne compte plus les disparitions ainsi que les cas de violences à l’égard des femmes autochtones. Cette affaire paraît presque anodine, d’autant que l’on apprend qu’un projet visant à construire une scierie alimentée par une grande route, va bientôt se concrétiser au grand dam des habitants. Pour comprendre ce qui s’est passé, trois personnages vont, à des degrés variés, remonter la piste de l’adolescente et aboutir à la révélation d’une terrible succession de faits sordides.

    Autant être honnête dès le début : à Polars Pourpres, on adore Estelle Tharreau. Ses romans tels Mon Ombre assassine, La Peine du bourreau, Les Eaux noires ou encore Il était une fois la guerre nous ont tellement plu que l’on attendait avec impatience son nouvel ouvrage, et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci est excellent. Une ambiance sombre, servie avec intelligence par une plume remarquable. Un style très réussi dans un cadre original, mettant en lumière de froides ténèbres et une belle galerie d’individus. On y trouve ainsi Logan Robertson, jeune policier un peu effacé, qui n’a strictement rien du héros et qui tient simplement à effectuer honnêtement son travail ; Nathan Lebel, fils d’un potentat local propriétaire d’un beau chalet où il semble se dérouler des événements peu reluisants ; Alice Tremblay, compagne de Nathan qui, même si elle est indienne, est en conflit avec elle-même ainsi qu’avec ses origines. L’histoire est aussitôt addictive et les chapitres très courts – rarement plus de trois pages – impriment un tempo relevé. Le récit s’avère efficace, proposant de multiples fausses pistes, au point que l’identité de l’assassin livrée à la fin du roman en surprendra plus d’un. Mais ce qui marque le plus dans cet opus, c’est finalement que les personnages paraissent presque en retrait malgré leurs belles caractérisations humaines : ils s’effacent au profit d’un tableau plus global où presque tous ont leur part de responsabilité – voire de culpabilité – dans la mort de Naomi. Pauvreté, incestes, viols, magouilles, dépendances narcotiques et alcooliques, affaires abjectes passées sous silence et autres lâchetés composent alors les mécanismes d’un ignoble engrenage.

    Une fois de plus, Estelle Tharreau signe un thriller mêlé d’éléments dignes du roman noir de haute volée. Un magnifique réquisitoire contre les veuleries et vices de l’âme humaine qui se double d’une excellente intrigue, où l’ultime phrase vient donner son titre à ce livre puissant.

    15/03/2024 à 06:56 6

  • L'Antre du diable

    Lincoln Child, Douglas Preston

    7/10 L’archéologue Nora Kelly vient d’être licenciée par son institut quand le milliardaire Lucas Tappan vient lui faire une offre pour le moins inattendue : diriger les fouilles sur le site de Roswell. Oui, là où un engin extraterrestre se serait écrasé en 1947. D’abord dubitative, elle finit par accepter et se rend sur place où elle constate un fait imprévu : la présence de deux cadavres – un homme et une femme – qui ont été exécutés d’une balle en pleine tête. L’agent du FBI Corrie Swanson ne sera pas de trop pour l’aider.

    A côté de la série consacrée à Pendergast, Lincoln Child et Douglas Preston ont également consacré plusieurs ouvrages à Nora Kelly dont voici, après Tomes oubliées et Le Dard du scorpion, le troisième opus. Typiquement le genre d’ouvrage distrayant et très agréable à lire, multipliant les péripéties et les personnages douteux pour une aventure pleine d’exotisme. Les deux auteurs maîtrisent à merveille les rouages du thriller et savent octroyer beaucoup de plaisir à leur lectorat, et ce livre ne déroge nullement à la règle. Il y a d’ailleurs une phrase, prononcée par l’un des protagonistes, qui résume le style : « Mon cher ami, vous voilà avec un joli mystère sur les bras. Un ovni, des espions, une séance de torture, deux cadavres, un accessoire provenant d’une bombe H. Vous aurez de quoi en tirer un roman le jour où vous prendrez votre retraite ! ». Mais, bien évidemment, nul ne souhaite la retraite de Lincoln Child et Douglas Preston tant ils continuent à nous régaler. Certes, certains personnages sont assez caricaturaux – le machiavélique Lime, après avoir été brillamment introduit avec ce braquage qu’il parvient à désamorcer avec beaucoup de tact, synthétise beaucoup de poncifs – et le récit ne nous épargne pas non plus quelques éléments plutôt téléphonés. Néanmoins, l’ensemble demeure très plaisant et les quelque 470 pages passent à toute allure.

    Une littérature particulièrement divertissante, faisant passer un bon moment d’une lecture décontractée et décomplexée.

    14/03/2024 à 06:56 4

  • La Mort d'une sirène

    A. J. Kazinski, Thomas Rydahl

    9/10 Danemark, septembre 1834. Le romancier et conteur Hans Christian Andersen n’est pas encore connu, et c’est après avoir fréquenté une prostituée, Anna, que l’on découvre le corps de cette dernière horriblement mutilé. Il devient aussitôt le suspect numéro un et ne doit sa libération qu’à une intercession, mais il n’en reste pas moins lourdement soupçonné. Avec la précieuse aide de Molly, la sœur de la victime, il va devoir démontrer son innocence, ce qui va lui faire affronter une terrible tueuse.

    Ecrit à six mains, ce roman se distingue immédiatement par son ton : ça sera noir, terriblement noir. Les premiers chapitres donnent à voir la capitale danoise, et plus exactement ses bas-fonds, avec sa prostitution, son alcoolisme, sa crasse, et c’est dans cette nasse qu’Andersen, rêveur, gentiment perdu dans ce monde qui n’est pas le sien, se laisse prendre. Il faut dire qu’il détonne : encore jeune, un brin naïf, il paie des péripatéticiennes non pour jouir de leur corps mais pour se servir d’elles comme modèles, en découpant aux ciseaux leurs silhouettes dans des feuilles de papier. Kazinski+A. J. et Thomas Rydahl excellent dans la peinture de ce microcosme sale et puant, mais aussi dans celle des hautes sphères puisqu’Andersen et Molly vont mener leur enquête qui les conduira jusqu’à la maison du roi et du prince du Danemark. Les énigmes vont alors se succéder : qui est cette mystérieuse madame Krieger ? Quel est son sinistre dessein ? Quel est le lien avec ce sucre rouge et la Compagnie danoise des Indes occidentales ? A qui appartient la main de cette brute qui a laissé sur le front d’Andersen ce sceau ? Au gré de ce récit palpitant, les auteurs nous entraînent vers de sombres projets dans des tunnels obscurs et malfamés, pour aboutir à un dénouement vertigineux, à la fois glaçant et mémorable. Beaucoup de passages retiendront longtemps l’attention, comme ce final dans un bateau et la confrontation avec la prédatrice, mais aussi cet épilogue, bifide, qui, même s’il est purement fictif, explique comment Andersen a pu avoir l’idée d’écrire deux de ses contes majeurs que sont La Petite Sirène et La Petite Fille aux allumettes. Des scènes puissantes, d’une rare force littéraire, et gorgée d’émotions.

    Kazinski+A. J. et Thomas Rydahl signent ici un ouvrage remarquable, où la tueuse en série mise en scène est au moins aussi inoubliable que le décor, malsain et putride. Une réussite absolue.

    13/03/2024 à 06:59 3

  • Manger Bambi

    Caroline de Mulder

    8/10 Elles sont trois adolescentes : Bambi, Leïla et Louna, trois amies que les contrecoups de la vie et la quête de l’argent ont soudées. Usant de leur physique avantageux, elles aguichent des hommes d’âge mûr dénichés sur des sites de rencontres pour les plumer sous la menace d’une arme à feu, leur laissant auparavant imaginer qu’elles seront offertes à leur libido. Si le stratagème est rôdé et la ténacité de ces escort-girls avérée, il se pourrait que des gravillons viennent enrayer le mécanisme. Peu importe : Bambi en veut tellement à l’existence qu’elle est prête à tout pour s’en sortir.

    Ce roman de Caroline de Mulder surprend dès les premières pages : l’écrivaine exploite à fond la carte de la crédibilité en prêtant à ses protagonistes des propos saturés de formules actuelles, d’argot de jeunes, de propos SMS. Le résultat est étonnant mais au final, l’ensemble gagne en vraisemblance à défaut de nous régaler de belles formules littéraires : il aurait en effet été assez curieux de lire des dialogues tombés d’ouvrages inscrits dans le romantisme triomphant. Ce trouble passé, Caroline de Mulder nous régale avec son récit fort et sans la moindre concession, nous donnant à voir de jolis leurres humains prendre au piège des individus au portefeuille souvent richement garni et prêt à tout pour jouer le rôle de « sugar daddies ». Le portrait de Bambi est particulièrement réussi : gamine bousillée par une enfance déstructurée, son père a précocement quitté le domicile familial sans donner de nouvelles depuis et sa mère s’adonne à la boisson au point d’être devenue une véritable épave. Ses amies ont également connu une sale trajectoire et la seule échappatoire à laquelle elles ont conjointement pensé est de détrousser des amateurs de chair fraîche – et jeune – puisque leurs moyens le leur permettent. Un scénario très simple qui est surtout un prétexte pour illustrer la sinistre décadence de ces mômes en pleine déchéance, graduellement tombées dans la délinquance sans même s’en rendre compte et que rien ni personne ne semble être à même de les ramener dans le droit chemin. Caroline de Mulder excelle dans le domaine de la noirceur sans pour autant plonger dans l’excès du voyeurisme ou de la dénonciation : elle expose les faits, les personnages ainsi que les motivations sans jamais justifier ces dernières. Une trame enténébrée, parfois sordide, où la perspective finale de passer la frontière offre un minimum d’espoir, même s’il n’est pas dit que nos ados y parviendront.

    Un authentique roman noir, sans rebondissement ni effets faciles, qui marquera durablement les esprits par sa forme comme par son sujet.

    12/03/2024 à 07:02 4

  • Dead Tube tome 19

    Touta Kitakawa, Mikoto Yamaguchi

    6/10 C’est dans une vieille demeure que va se dérouler le jeu « Dead Tube House », un lieu balisé de caméras et filmé en permanence. Au programme : une relecture du « jeu du loup-garou » selon les dires de l’une des protagonistes, avec des traîtres dans l’équipe et des morts à la clef si les missions indiquées ne sont pas remplies. Première mission : choisir parmi deux victimes ligotées laquelle sacrifier.
    Le recyclage d’un concept ludique connu et réadapté à la sauce « Dead Tube », un huis clos, une épreuve où il faut remplir des flûtes de champagne : rien de très transcendant malgré un graphisme très réussi et une image finale assez flippante.

    11/03/2024 à 18:36 2

  • Rouge

    Claude Robert

    7/10 Joseph Pitié, surnommé « Ji », inspecteur actuellement en congé, se promène lorsqu’il découvre le cadavre d’une jeune inconnue. Elle est habillée d’une belle robe rouge et porte d’étranges caractères sur le dos, qui s’avèrent être des haïkus. Bientôt remis en piste aux côtés des policiers en charge de l’affaire, Ji et ses collègues vont apprendre qu’il y a eu par le passé d’autres victimes retrouvées mortes selon le même rituel. Est-ce l’œuvre d’un tueur en série ? Et si c’est le cas, va-t-il de nouveau frapper ?

    Pour ce premier roman, Claude Robert séduit dès les premières pages. L’écriture est magnifique, posée et travaillée, offrant de séduisants moments de pure littérature. Par la suite, l’aspect policier prend le pas sur le reste et l’intrigue est solide. Les pistes sont intéressantes, de l’ancien compagnon au possible maniaque en passant par un psychiatre et des relations particulièrement détériorées voire toxiques au sein de la famille de Maïwa, celle trouvée au début du livre. Ce court roman – cent-soixante pages – permet également de découvrir des enquêteurs suffisamment charpentés et incarnés, de Ji qui apprend, après de sérieux déboires alcooliques, qu’il va être père, à Costa, le responsable de la cellule, en passant par Leyvraz, flic doué en informatique et cherchant à dissimuler son homosexualité, et Anna, policière aux réflexions pertinentes. Le scénario est classique mais sa résolution est prenante, offrant ce qu’il faut de réponses aux questions qui ont jalonné tout l’ouvrage. Il ne manque finalement à cet opus que quelques éventuels éclats de noirceur, de moments de fièvre ou de pics d’adrénaline afin de satisfaire à l’étiquette de thriller qui estampille la belle couverture du livre.

    Un roman qui sonne juste, joliment marqué par le tact et l’humanité de son histoire, et dont l’épilogue laisse augurer une prochaine réapparition de ses personnages : on ne saurait demander mieux à Claude Robert.

    11/03/2024 à 06:57 2

  • Virtualité réelle

    Estelle Tharreau

    9/10 Après la charge virulente du premier tome de son diptyque contre les nouvelles technologies et l’abrutissement des masses via les sciences prétendument libératrices et bienfaitrices, Estelle Tharreau revient avec, cette fois-ci, un pamphlet contre les univers virtuels, la programmation soi-disant panacée, la technologie intrusive et asservissante où « la liberté virtuelle est la clé d’une réalité apaisée ». Place aux enfants qui ne sont élevés que via des casques de réalité virtuelle, où le monde est au bord de l’abîme quand les ordinateurs ne fonctionnent plus, où les sirènes hurlent en cas de coupure électrique comme si le pays était subitement entré en guerre, où les hommes peuvent devenir de véritables prédateurs sexuels dès lors que la nuit numérique s’abat brusquement sur l’humanité. Un ton assurément plus sombre et dur que dans le premier opus du diptyque, le classant dans la catégorie « thriller ». Ce texte fut court mais, pour moi, indéniablement un puissant et salvateur pamphlet qui va à contre-courant de la doxa qui prône le numérique comme remède universel et vertueux.

    10/03/2024 à 19:01 3

  • Les Marchands de sable

    Yohan Barbay, Eric Corbeyran

    7/10 Howard vit un nouveau cauchemar dans le fourgon qui le trimballe en plein désert avant l’irruption d’une tribu qui s’attaque au convoi. Toujours ce mélange de SF, de steampunk et un peu de western également. Même si le graphisme et l’histoire sont réussis, j’ai un peu de mal à rentrer dedans, tout simplement parce que ce mélange des genres n’est pas follement ma passion, mais je reconnais volontiers les qualités de ce deuxième tome.

    10/03/2024 à 08:09 1

  • Gannibal tome 4

    Masaaki Ninomiya

    8/10 Daigo Agawa apprend de la bouche de sa femme que Mashiro, leur fille, a disparu, et même si cette légitime inquiétude n’est que de courte durée, l’offrande n’est plus que dans quelques jours, et voir ces gamins encagés n’est pas pour rassurer le lecteur. Notre héros ira jusqu’à tenter de s’infiltrer dans la tanière de la famille Gotô pour mettre au jour les secrets du clan.
    Suspense remarquable, esthétique imprenable, souffle intact à ce stade de la série : on est vraiment dans du très bon, pourvu qu’il en soit ainsi pour les tomes qu’il me reste à lire.

    10/03/2024 à 08:02 1

  • La Secte tome 1

    Mook

    3/10 Franchement, j’ai été décontenancé par ce manga comme je l’ai rarement été. Un pitch très simple, pourquoi pas, mais après, j’ai eu l’impression d’être passé dans une sorte de vortex. L’auteur est-il sérieux ou plutôt ixième degré ? Joue-t-il volontairement sur les codes attendus du genre ou se paie-t-il leur tête ? Les dessins soignés côtoient d’autres volontairement simplets, le décalé (cf. la scène avec le cochon en laisse, par exemple) jouxte le prétendument sérieux, les combats d’arts martiaux se multiplient et j’en suis venu à me demander si le scénario avait encore de l’importance… Non, vraiment, je ne sais pas quoi en penser, mis à part le fait que je vais probablement tout bonnement m’arrêter là.

    08/03/2024 à 16:08 2

  • Osahar

    Sylvain Cordurié, Gianluca Gugliotta

    7/10 L’action intervient dès la deuxième planche. Une esthétique très léchée, proche de celles des comics, qui vient souligner le dynamisme de ce premier tome, et même si le scénario n’est pas un modèle du genre et que les références aux « Maîtres inquisiteurs » me manquent dans la mesure où je n’ai pas lu cette série, cette BD est globalement réussie et plutôt efficace. Je vais continuer cette série.

    07/03/2024 à 08:14 2