L'Homme à la carabine

  1. Mais qui était vraiment l'homme à la carabine

    Nous sommes au début des années 1910. La France tremble devant un groupe de jeunes gangsters intrépides enchaînant les braquages sans se soucier d'épargner ceux qui se dressent sur leur passage. À Paris, Rue Ordener, en 1912, ils s'offrent même le luxe de commettre l'un des tous premiers braquages automobiles, lequel fit alors sensation et les choux gras de la presse. Dans cette bande, il y a bien sûr Jules Bonnot dont l'histoire retiendra le nom, mais aussi Octave, Raymond, Monier, Valet... et André Soudy, l'homme à la carabine.

    Certains lecteurs ont sans doute déjà entendu parler de la bande à Bonnot. Si l'on connaît un peu le leader de ce groupe et « Raymond la Science », les médias d'hier et d'aujourd'hui se sont peu intéressés aux autres, notamment à André Soudy. C'est ce qu'a décidé de faire l'auteur, qui tente dans ce roman – sous-titré « esquisse » – de brosser un portrait au plus juste de ce gamin à qui la vie n'a jamais souri.
    On ne présente plus Patrick Pécherot, d'abord syndicaliste et journaliste, attiré par la grande histoire et la destinée des petites gens, qu'il fait vivre (et parfois mourir) dans ses romans noirs, parus pour l'essentiel à la Série Noire. Outre sa trilogie parisienne (Les brouillards de la butte, Belleville-Barcelone, Boulevard des branques), on conseillera Soleil noir et surtout Tranchecaille, magnifique texte ayant pour cadre la Grande Guerre. C'est d'ailleurs peu ou prou à cette même époque que se déroule L'homme à la carabine. Comme souvent, l'auteur adapte sa plume au parler de l'époque, n'hésitant pas à faire revivre l'argot d'alors. Qualifié de « roman-collage » par l'éditeur, le texte est protéiforme et Patrick Pécherot y jongle habilement avec les personnages et les points de vue narratifs. Il utilise des voix plutôt classiques (à la troisième personne) pour conter les événements ou, en flash-back, l'adolescence d'André. Il emploie parfois la première personne, pour qu'André puisse directement nous confier ses mésaventures, et passe parfois au « tu », s'adressant directement à André, lorsqu'il s'agit de commenter des photos de lui. C'est sans doute cette voix, originale, qui est la plus réussie : on ressent alors de la part de l'auteur une certaine tendresse pour ce personnage, tout bandit fût-il. En toute fin de roman, on trouve même des fragments du journal que tint Soudy avant sa condamnation à mort. André Soudy, c'est une – courte – vie à essayer de sortir de la malchance. Issu d'une famille très pauvre, tuberculeux, il enchaîne très tôt les petits boulots – apprenti boucher dès onze ans puis garçon d'épicier notamment – pour des patrons impitoyables, avant de se laisser tenter, après un premier séjour en prison pour vol, par les penseurs révolutionnaires et anarchistes, puis de tomber dans le grand banditisme. L'homme à la carabine ne met pas seulement en scène le parcours chaotique de cet homme singulier, mais aussi une époque. On croise ainsi au fil des pages Colette, Ferré, Aragon, Vian, ou encore Léo Malet, cité par l'auteur dès l'exergue de son texte.

    En s'intéressant à l'un des membres les moins connus de la fameuse bande à Bonnot, Patrick Pécherot signe une fois de plus, avec sa plume caractéristique, un fort beau texte. On se languit déjà de lire son prochain roman, annoncé pour septembre 2015 à la Série Noire. Une plaie ouverte mettra en scène des personnages embarqués dans la tourmente de la Commune de Paris.

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