La Famille Winter

(The Winter Family)

  1. Les derniers du Colt

    Augustus Winter. Tel est le nom d’un chef de gang qui sévit aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Il dirige une bande de tueurs, sociopathes, ne laissant dans leur sillon que hurlements et cadavres. Une horde d’assassins dont il faut comprendre la genèse pour mieux en apprécier la trajectoire létale.

    Avec ce premier roman, Clifford Jackman frappe fort. L’archétype du coup ravageur : porté avec intelligence, force, et sur un point névralgique. La construction du territoire américain est souvent sacralisée, presque mythologique, et sert de fondement à la culture de la nation. Ici, c’est un pan extrêmement sombre et sauvage qui est décrit à travers l’évocation d’un essaim de meurtriers. Augustus Winter, le dandy tueur, dont le corps porte encore les stigmates de « l’éducation » prodiguée par son père, placide et doué d’une riche culture, aux cheveux filasse et aux yeux dorés. Bill Bread, l’Amérindien, buveur invétéré. Quentin Ross, menteur endurci et assassin redoutable. Fred Johnson, l’esclave qui n’a brisé ses chaînes qu’au prix d’un furieux carnage. Lukas Shakespeare, un gamin redoutable au six-coups. Les trois frères Empire, aussi sanguinaires que stupides, à moins que ça ne soit l’inverse. Au gré du livre, on suit la construction de cette escouade de monstres, depuis la Guerre de Sécession, en Géorgie, en 1864. Des êtres déjà sinistres isolés les uns des autres, mais que la tragédie du conflit, les errements et la déliquescence vont conduire aux pires exactions. Ils deviendront des hommes de mains redoutés, jusqu’aux élections municipales de Chicago en 1872, et sceller leur destin commun en Oklahoma au début de la dernière décade du dix-neuvième siècle. Clifford Jackman aurait pu signer un énième western, crépusculaire et violent, à la manière de ce qui se fait en littérature ou au cinéma, et avec tout le talent de sa langue si particulière, hautement poétique dans sa prose, le lecteur aurait de toute façon été conquis. Mais il pousse l’exigence scénaristique jusqu’à proposer, à l’aide de chapitres courts et impétueux, une nouvelle lecture de la légende du Far West, où les pires crapules mettent en relief avec un terrible cortège d’ombres et de sang la conquête de l’Ouest, les appétits politiques de ceux qui veulent mettre à profit une telle violence tarifée, et la déchéance de ces individus, chassés de la Terre promise.

    Un ouvrage à l’image des personnages qu’il met en scène : torturé, aliéné et sublime de contradictions. Encensé par Craig Johnson et Craig Davidson, voilà un western vespéral où un méphitique soleil se couche sur les silhouettes inquiétantes de cowboys enténébrés, loin des images éculées des braves redresseurs de torts et autres justiciers solitaires.

    /5