Olivier Descosse

Interview de Olivier Descosse (01/08/2005)

Suite à une lettre que j'avais envoyée il y a quelques semaines à son éditeur, Olivier Descosse a très chaleureusement accepté de se prêter au jeu de l'interview pour Polars Pourpres. La rencontre a eu lieu aujourd'hui dans un petit café de la région parisienne, où nous avons discuté pendant plus d'une heure et échangé nos coups de coeur littéraires...

Nico - Olivier, tu as suivi des études de droits, mené une carrière d’avocat et en parallèle, tu as toujours été intéressé par l’écriture. Mais quel est le déclic qui t’a poussé un jour à te lancer dans l’écriture de thrillers?
Olivier Descosse - Le déclic, c’est que je commençais à m’ennuyer un peu dans mon métier d’avocat. Non pas que j’en avais fait le tour, vu que c’est tout à fait possible que j’y revienne un jour d’ailleurs, mais j’ai mis le métier d’avocat entre parenthèses parce que j’avais besoin de temps. Quand j’ai écrit mon premier roman, j’avais besoin de prendre l’air par rapport à mes dossiers en quelque sorte. Je me suis dit que c’était le moment : j’avais un cabinet qui marchait bien, un associé, des collaborateurs, du temps donc j’ai commencé à écrire. Après ça s’est enchaîné, et j’ai écrit de plus en plus.

N. - Tu as commencé avec un livre qui s’appelle Mythes, et c’est peut-être le roman qu’on connaît le moins et qu’on a le plus de mal à se procurer...
O.D. - Ca a été un peu compliqué en effet parce que la société d’édition qui l’édite a déposé son bilan. J’ai appris qu’ils avaient été rachetés par une autre maison d’édition, si bien qu’on va maintenant sans doute pouvoir le retrouver. Il n’y a pas eu beaucoup d’exemplaires de vendus, peut-être 500...

N. - Peux-tu nous en dire un peu plus sur Mythes ?
O.D. - Mythes, c’est un thriller fantastique. On est toujours dans la gamme des romans qui m’intéressent, à savoir les thrillers, avec le même principe d’histoire à suspense et différents personnages qui parfois apparaissent au beau milieu du livre, et plusieurs histoires entrecroisées. La seule différence, c’est que les romans de la trilogie Cabrera sont des thrillers policier, alors que là c’est du fantastique. Le principe du fantastique, c’est Isaac Asimov qui le décrit le mieux : on doit le plus longtemps possible pouvoir se dire qu’on est dans une histoire réelle, avec des choses un peu bizarres qui se passent mais qui pourraient avoir une explication rationnelle. Et c’est simplement à la fin, le plus tard possible, qu’on découvre qu’effectivement l’explication n’est pas du tout rationnelle…

N. - Avant d’aborder la trilogie Cabrera, j’aimerais en savoir un peu plus sur tes préférences littéraires et cinématographiques. Et connaître également tes influences quand tu écris.
O.D. - Personnellement, j’aime beaucoup Grangé. Il y a des auteurs qui font la fine bouche et disent « Non, moi, Grangé, j’aime pas trop »… Pour en avoir discuté avec d’autres auteurs dans des salons de polars, j’ai remarqué qu’il y a un certain snobisme à vouloir se démarquer en critiquant… Moi, je trouve que c’est un auteur qui écrit super bien. Bien sûr, j’ai ma personnalité, nos histoires sont différentes, mais je l’apprécie beaucoup.
J’aime aussi Connelly, dans un genre un peu plus lent, peut-être un peu plus travaillé au niveau des personnages. Non pas que Grangé ne travaille pas ses personnages, mais ça n’est pas tout à fait la même chose.
J’aime aussi Thomas Harris, dont j’ai lu tous les romans. Lui c’est encore autre chose : il y a un côté plus gore et plus impressionnant visuellement. Après on aime ou on n’aime pas. Moi, j’aime bien.
C’est mes trois auteurs en tête de liste mais j’ai des lectures assez éclectiques finalement. Je peux lire Begbeider, que j’aime également. Ou encore des romans historique, ou Justine Lévy. Je lis le plus de bouquins possible, tout ce qui me passe sous la main. Et même des trucs d’intellos. Des choses très différentes, mais l’essentiel c’est que je lise beaucoup.

N. - Et en matière de cinéma ?
O.D. - Je crois que je vois encore bien plus de films que je ne lis de romans, d’abord parce que ça se voit plus vite. Je suis un cinéphile de folie. Le cinéma, c’est ce qui m’a fait écrire. Plus que les livres. Finalement, on pourrait trouver ça assez bizarre mais je me rends compte en te le disant que j’ai commencé à vraiment lire à partir du moment où j’ai écrit, alors que j’ai toujours regardé des films, depuis que j’ai 15 ans…
Quand j’étais ado, c’était les films d’horreur (à l’époque Dario Argento), même les navets ou les films de série B. Et je continue d’ailleurs. Maintenant j’aime beaucoup les thrillers évidemment, avec une préférence pour le cinéma américain. Je regarde minimum 4 films par semaine, j’adore ça.

N. - En lisant la trilogie Cabrera, j’ai eu l’impression que tu tentais d’explorer différents aspects du polar, en abordant le thème des serial-killers, des sectes, de la mafia… C’était une volonté de ta part de multiplier les approches du polar de cette façon ?
O.D. - Chaque fois que j’écris un nouveau bouquin, pour moi c’est un nouveau pari : je me lance. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais même les structures sont différentes à chaque fois, avec une narration alternée par exemple dans Miroir de Sang.
Le roman que je suis en train d’écrire en ce moment, ça ne sera pas un « Cabrera » parce que Cabrera c’est fini. Bon, il ne faut jamais dire jamais. Mais j’ai fait une trilogie, ça s’est bien passé, peut-être qu’un jour j’en ferai un autre, mais pour l’instant je passe à autre chose. Et là, c’est une histoire vue tout simplement du point de vue du narrateur : on avance avec lui, il n’y a plus ce système de croisement, c’est le même personnage qui sera, du début à la fin, au centre de l’intrigue. Chaque fois j’essaie donc d’explorer un univers différent, et ça sera encore un univers différent dans le prochain roman. J’aime beaucoup Connelly, mais ça ne m’intéresse pas trop d’écrire des histoires récurrentes.
Au départ, je ne devais faire qu’un « Cabrera ». Mon éditeur a insisté pour en faire trois, et j’ai accepté même si je n’avais aucune idée des deux romans que j’allais faire par la suite. J’ai essayé de faire ça le mieux possible et en mettant ma touche personnelle, à savoir je ne voulais pas faire une histoire qui se répète, en changeant simplement quelques personnages et quelques quartiers. Donc j’ai exploré des univers à chaque fois différents.

N. - Stock t’a donc poussé à reprendre le personnage de Cabrera. Pourquoi de ton côté ne voulais-tu pas en faire un personnage récurrent ?
O.D. - Il y a des avantages et des inconvénients. Je les vois surtout en ce moment, puisque j’écris un roman qui est totalement différent. Dans la pratique, les avantages c’est qu’on connaît très bien son personnage. C’est plus facile. On vit avec lui, il réagit avec nous : je n’ai pas besoin de me casser la tête pour savoir comment fonctionne Cabrera, puisque ça fait 3 ans que je vis avec lui quasiment tous les jours. Alors que mon nouveau personnage, qui s’appelle Luc, n’a rien à voir avec Paul. Si bien que parfois je suis obligé de revenir en arrière parce que je me dis « non, là, il ne peut pas réagir comme ça, c’est pas possible ». Je le découvre au fur et à mesure qu’il évolue dans l’intrigue.
Côté inconvénients, c’est qu’avec un personnage récurrent, ça devient possible de se répéter et de se laisser aller à la facilité, de s’ennuyer. Alors que là, c’est l’aventure.

[Léger SPOILER sur Le Couloir de la Pieuvre dans la question et la réponse suivantes]

N. - Si tu avais su que Le Couloir de la Pieuvre allait être en fait le premier roman d’une trilogie, est-ce qu’il y a des choses que tu aurais changées dans le roman ? Je pense notamment au personnage du Corse, le supérieur de Cabrera, qui disparaît au bout de 100 pages seulement et pour qui Paul avait beaucoup d’affection.
O.D. - On me l’a déjà dit en effet. Mon éditrice aussi regrettait qu’il meure aussi rapidement. Mais je lui ai répondu très simplement : le père de Dom Juan meurt bien au début de la pièce. Et son ombre est portée tout du long, c’est là tout l’intérêt. Pour Cabrera, c’est la même chose : cette ombre-là, elle le suit. Dans Le Pacte Rouge, j’en parle lorsque je dis qu’après la mort de Fabio et de Tomasini, Paul se sent quelque part né de ces deux pères : ces ombres-là le suivent et le construisent. Plus sûrement qu’une réalité qu’il aurait tous les jours devant les yeux.

N. - Rétrospectivement, tu es quand même content d’avoir pu conserver ce personnage de Cabrera pour le faire évoluer tout au long de la trilogie ?
O.D. - Je ne regrette pas. Je ne m’y attendais pas mais je ne regrette pas. Le livre que j’écris en ce moment, je le portais déjà à l’époque donc j’ai été un peu frustré de devoir différer l’écriture de ce roman. Mais, du coup, tout me vient maintenant beaucoup plus facilement car il y a eu maturation des idées.
Pour ce qui concerne Paul Cabrera, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il évolue comme ça, mais j’en suis content. Ecrire des histoires avec un personnage récurrent, en terme d’exercice de style, ça oblige aussi à certaines règles, certaines contorsions. Il y a des libertés, mais en même temps un cadre à respecter. C’est très intéressant.

N. - Tu parlais des différents univers que tu as dépeints dans les 3 romans de la trilogie. A quel point ces univers sont-ils issus de ton expérience professionnelle et quelle est la part d’imaginaire ? Tu as par exemple exercé le métier d’avocat en Polynésie. A quel point cette expérience a-t-elle pu te servir dans Le Couloir de la Pieuvre ?
O.D. - Pour Le Couloir de la Pieuvre, ça m’a bien sûr beaucoup servi. Mais il faut bien faire la distinction entre la part d’imagination et de réalité. J’ai beaucoup évolué, tu le verras si tu as l’occasion de lire Mythes, puisque c’est un thriller fantastique, donc complètement « délire ».
Au départ, je suis quelqu’un de passionné par le fantastique. Quand j’ai commencé à écrire, c’est ces choses qui m’intéressaient qui me sont venues le plus facilement. Donc j’ai écrit un thriller fantastique.
Ensuite je me suis rendu compte que le fantastique offrait peut-être moins d'occasion d’explorer qu’un roman plus ancré dans le réel. Dans un thriller policier, on est dans la société, ça donne l’occasion de la dépeindre aussi. J’ai donc évolué vers ce genre là.
Mais dans Le Couloir de la Pieuvre, il y a quand même une fin qui n’est pas fantastique, mais assez limite. D’ailleurs, on me l’a assez reproché…
J’ai donc petit à petit évolué parce qu’avec le Couloir de la Pieuvre, j’ai trouvé des raisons de me faire plaisir en analysant des choses plus réelles, notamment dans Le Pacte Rouge, en décrochant ainsi du fantastique. Dans Le Pacte Rouge, j’aborde l’univers de la haute finance, que j’ai aussi côtoyé. J’ai été avocat d’affaire à Paris pendant 4 ans avant d’aller en Polynésie, aux Etats-Unis, ou encore dans un cabinet international. Autant d’univers que j’avais envie de dépeindre.
Dans le livre que j’écris en ce moment, le personnage principal est un avocat d’affaires. J’ai donc encore plus de facilité à entrer dans cet univers. J’ai fait des choses différentes, mené en quelques sortes plusieurs vies, et ça se ressent dans la trilogie.
Sinon, quand il y a des choses qui m’intéressent, je le garde en tête et à un moment donné, elles ressortent. Les expériences sur le cerveau par exemple, j’ai dû le lire quelque part, ou en entendre parler dans un reportage sur la guerre du Vietnam.
Mais je n’ai pas tout vécu. Je ne suis jamais allé à Palerme en Sicile par exemple…

N. - Tu écris pour l’instant un roman par an, qui sort généralement en avril ou mai. Tu penses continuer en suivant le même rythme ?
O.D. - Je ne sais pas. Pour l’instant, j’avance bien : j’en suis au tiers du livre donc je suis dans les temps pour conserver ce rythme de parution. Mais je ne sais pas encore, on verra. Soit il sortira en avril ou mai, soit je le diffèrerai à la fin de l’année, ça dépendra. Mais ça sera en 2006.

N. - Et concernant les ventes de tes romans ? Combien d’exemplaires sont vendus ?
O.D. - Pas assez (rires)… Je commence à être repéré par la presse. Cet été, je suis passé à la télé sur France 5, on a parlé de moi sur Campus... Ca commence à intéresser mais en terme de ventes je suis encore dans les profondeurs du classement. Mais il paraît que c’est compliqué, que c’est long… Et Stock n’a pas forcément le budget publicitaire de Lafon par exemple.

N. - Aujourd’hui, les ventes de romans te suffisent-elles pour vivre ?
O.D. - Honnêtement, non. Pas loin, mais mon « entreprise personnelle » est encore déficitaire… (rires)

N. - Peux-tu nous parler un peu des projets d’adaptations cinématographiques de tes romans ?
O.D. - J’ai écrit le scénario du Couloir de la Pieuvre. C’est une histoire à la fois proche et obligatoirement différente car chaque adaptation ciné doit prendre en compte un certain nombre de contraintes qui imposent une évolution de l’histoire. Comme j’écris des histoires assez complexes, c’est impossible de les retranscrire au cinéma dans leur totalité. Donc tu dois faire des choix. J’ai travaillé avec un ami, qui est premier assistant réalisateur, notamment de Jean-Pierre Jeunet sur Un Long Dimanche de Fiançailles, qui a donc 15 ans de métier et une bonne vision. Je suis littéraire, lui est davantage visuel et technique, et je crois que ça fait une bonne association.
Ca fait un an qu’on essaie de monter ce projet à partir de ce scénario avec des producteurs. On a trouvé un comédien et un réalisateur emballés par le projet. Mais pour l’instant, ça patine un peu : les producteurs n’ont pas encore réussi à obtenir les financements et du coup ce projet est en stand by.
Parallèlement, j’ai été contacté par un réalisateur assez important et qui souhaite adapter Miroir de Sang. Là, le scénario n’est pas écrit, on en est aux premiers contacts et il est en train de chercher un préfinancement pour l’écriture du scénario.
Enfin, pour Le Pacte Rouge, j’ai été contacté par la télé, mais je réserve encore ma réponse…

N. - Si tu pouvais choisir un acteur pour incarner Cabrera, qui engagerais-tu ?
O.D. - Au départ, on avait pensé à Samuel Le Bihan, qui nous avait donné son accord. Le metteur en scène devait être Julien Seri. Mais Samuel ne fait pas forcément l’unanimité au niveau des maisons de production (niveau « bancabilité », à savoir le rapport entre financement et recettes espérées). Sinon on m’a évidemment proposé Vincent Cassel… Pourquoi pas. La difficulté, c’est que Cabrera a entre 28 et 35 et que dans cette génération-là, pour m’être penché sur la question, c’est difficile de trouver quelqu’un en France. Dans le cinéma américain, tu aurais peut-être une dizaine d’acteurs qui tiennent la route. Mais c’est tout de suite un autre budget, un autre montage financier…

N. - Pour terminer : Olivier Descosse et internet ? As-tu des projets de sites web ?
O.D. - J’aimerais faire un site. J’ai préparé la maquette et j’attends un ami qui doit s’en occuper. Sur le papier, le mien est prêt en tout cas.
C’est important selon moi d’avoir une interactivité : un auteur ne peut pas rester sur son piédestal. A ce titre, le web c’est bien. Quand on m’envoie des mails par l’intermédiaire de Stock, je réponds : j’aime bien savoir ce que les gens pensent.
Quand tu vas dans un salon, les gens ont peur. C’est amusant. Quel que soit l’écrivain. Même les livres leur font peur. Il sont à deux mètres, regardent de loin, ils n’osent pas s’approcher. Par l’intermédiaire du net ou du mail, sans ce rapport face à face, ça permet un dialogue plus facile.

Nicolas pour Polars Pourpres