Hervé Commère

Interview de Hervé Commère (30/03/2011)

A l'occasion des Quais du Polar de Lyon, dont il était l'invité, Hervé Commère nous a fait l'honneur de nous accorder quelques instants entre deux dédicaces pour répondre à nos questions.

Polars Pourpres : En lisant Les Ronds dans l'eau, on se rend compte de ton intérêt pour les personnages et pour les rencontres. Peux-tu nous raconter l'histoire de la rencontre entre Hervé Commère et le polar ?

Hervé Commère : Je pense même pouvoir vous donner un nom : l'artisan de cette rencontre, c'est Tonino Benacquista. J'étais étudiant en lettres modernes, c’était il y a quinze ans, et à cette époque, en lettres modernes, on ne lisait pas du tout de polars. Le polar, c'était un sous-genre, en tout cas ce n’était pas considéré comme de la littérature.
C’est en lisant Les Morsures de l'aube, de Tonino Benacquista, que j'ai découvert qu'un polar pouvait aussi avoir du style. Ça a changé ma vision du polar. Je crois que c’était un des premiers polars que j’ai lus, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à en lire davantage.

D’ailleurs, te définis-tu comme un écrivain de polars ? Voire de thriller, puisqu’on peut lire la mention « Thriller » sur la couverture des Ronds dans l'eau ?

Pas vraiment. En tout cas, pas comme un écrivain de « thrillers ».
Et je ne me dirais pas que je suis un auteur de polars, mais simplement que je suis un écrivain. Il se trouve que pour le moment, les deux livres que j’ai écrits sont des polars. Mais, même si j’écrirai toujours des romans, je n’écrirai pas que des polars.
J’ai surtout eu envie, pour l’instant, d’écrire un polar parce que j’ai l'impression que ce genre me donne un cadre, un fil conducteur, qui incite à tenir le lecteur en haleine. J’ai besoin de ça pour me donner confiance, pour captiver le lecteur.
Je me définis comme un écrivain, pas comme un auteur de polars, c'est parce que je pense, du moins j'espère, que d’ici quelques temps et quelques livres j’aurai davantage confiance, moins peur d’ennuyer le lecteur et que j’écrirai alors quelque chose de différent, sans savoir précisément quoi encore.

Tu as d’ailleurs déjà écrit je crois un autre roman, qui n’était pas un polar.

Effectivement, mon premier roman, que j’ai écrit en sortant de la fac de lettres, n’était pas du tout un polar. C’était une histoire d’amitié entre trois garçons.
Et ce roman là, justement, partait un peu dans tous les sens. J’ai donc voulu écrire un polar ensuite justement pour avoir un cadre, et il se trouve que j’y ai franchement pris goût. Ecrire un polar, c’est un jeu passionnant.
Mais je n’ai pas en tête que des polars, je ne me définis donc pas comme un auteur de polars.

La chose qui m’a marqué dans ton roman, c’est cette sympathie pour les personnages, même pour les « méchants ». Comment l'expliques-tu ?

Tout simplement parce que l’erreur est humaine. On ne naît pas méchant. On est parfois amenés à faire des choses pas forcément très belles, mais ça ne vient pas tout seul.
Je me dis très souvent, personnellement, que je suis né du bon côté des choses. Mes deux parents travaillaient, je suis allé à l’école, je n’ai donc pas eu trop de difficultés. Tout s’est bien passé pour l’instant dans ma vie, mais je pense que si je n’avais pas eu les mêmes parents, la même enfance, j’aurais pu faire des choses moins raisonnables.
Par ailleurs, dans mes romans, les méchants ne sont pas vraiment méchants. C’est simplement des voleurs, et c’est ce qui me plaît dans le polar et le suspense, par opposition aux psychopathes, aux tueurs en série, qui ne me parlent pas particulièrement.

Tu pourrais donc écrire un suspense sans meurtre ?

Oui, et c’est exactement ce que je veux faire dans mon prochain roman : autant de suspense que dans mes précédents romans, sans qu’il y ait quoi que ce soit d’illégal. Ni vol, ni drogue, ni même excès de vitesse…

Une autre caractéristique marquante dans tes romans, c’est ce refus de linéarité dans la narration. L’intrigue est éclatée dans le temps et entre les personnages…

Il me semble que pour tenir le lecteur en haleine, il faut qu'il manque toujours un morceau de l’histoire, c’est ce qui nous pousse à continuer. C’est comme cela que je conçois les histoires, une façon de créer un manque.

Et il n’y a pas, dans tes romans, de vision unique. L’intrigue s’organise autour de points de vue différents. C’était quelque chose de volontaire dès le départ ?

C’est quelque chose qui m’est venu naturellement, une envie de raconter la même chose sous des angles différents. En fait, je me suis rendu compte après coup que mes deux polars avaient ça en commun.
Mais ça ne sera pas le cas dans mon prochain roman, dans lequel un héros raconte sa propre histoire.

Quant au fait que tes histoires soient ainsi étalées sur plusieurs décennies, comment l’expliques-tu ?

Concernant Les Ronds dans l'eau, l’intrigue commence dans les années 70, car je cherchais un fait qui puisse avoir des conséquences 40 ou 50 ans plus tard. Et, à côté de ça, parler des années 70 me donnait l’occasion, à plusieurs reprises dans le roman, de parler des truands tels que je les aime. Quand j’étais gamin, je regardais des films de gangsters, de cambrioleurs, et des films de Melville dans les années 70. Aujourd’hui, les truands, ce n’est plus pareil. Les technologies ont évolué, et ça ne m’intéresse plus trop.
Ça me donnait donc l’occasion de parler des truands que j’aurais voulu être en étant gamin, quand je jouais au gendarme et au voleur.

Peux-tu nous parler de tes influences littéraires, de tes auteurs préférés, de tes découvertes récentes ?

Avant tout, je ne lis QUE des romans français, car je me dis que je n'aurai déjà pas le temps de lire le dixième des chef-d'œuvres français qui existent. C’est peut-être complètement stupide, je sais qu'il y a des chef-d’œuvres dans d'autre pays. Mais rien qu'en France, en littérature classique, entre Victor Hugo, Zola, Balzac, ou en poésie, de Baudelaire à Verlaine, je sais qu'il y a déjà là beaucoup de bonnes choses à lire.
Sinon, en polar : Tonino Benacquista, comme je l'ai dit, a été pour moi le premier. Je l'aime toujours, d’autant plus qu’il n’écrit plus de polars.
J’ai beaucoup aimé également Didier Daeninckx, Jean-Bernard Pouy.
Dernièrement, j’ai découvert Pierre Lemaitre, et ça m'a même redonné envie de lire des polars. J’ai adoré Robe de marié.
A côté de ça, je lis davantage de littérature blanche. Jean-Paul Dubois, par exemple, et j’ai l’impression d’avoir trouvé là mon auteur favori. J’ai lu « Si ce livre pouvait me rapprocher de toi » il y a six mois, depuis j'en ai lu 3 ou 4 de lui, toujours aussi délicieux.
Enfin, un auteur que je recommande : Nicolas Rey. Son dernier livre s’appelle « Un léger passage à vide » : une pépite, magnifique.
Et puis j'espère toujours que le prochain roman que je lirai sera celui que je préfèrerai…

Polars Pourpres - 2011