J'avais la croix

  1. La neige était sale

    Gabriel a vent d’un jeune homme découvert abattu et ligoté à une croix surplombant l’un des sommets du massif de la Chartreuse. Son sang de céphalopode ne fait qu’un tour et il file sur place, à Saint-Pierre-d’Entremont où l’attend une population bigarrée : des anars tenant une radio, des poivrots sévèrement atteints, un gendarme aussi affable qu’une guillotine, des ascètes peu bavards, etc. Pourquoi avoir assassiné ce pauvre bougre ? Qui, depuis des décennies, s’est décidé à détruire les croix qui dominent la vallée ? Et qui est l’auteur de ces tracts découverts près de la dépouille où l’on peut lire « Stat Crux » ?

    Deux-cent-quatre-vingt-sixième enquête du Poulpe signée par Dominique Chappey, cet opus se dévore littéralement. Avec un humour caustique, l’auteur a su se couler avec intelligence et brio dans le moule imposé par Jean-Bernard Pouy lorsqu’il initia cette saga en 1995 avec La Petite écuyère a cafté. Le ton est alerte, les jeux de mots volent en escadrilles, et les scènes cocasses sont nombreuses, comme ces rencontres avec la faune du bar ou encore les anarchistes. Partant d’une histoire qui aurait pu être véridique tant elle est baroque (des crucifix mis à terre pour des raisons inconnues), Dominique Chappey a su tisser un scénario prenant et décontracté où l’on se plait, une fois de plus, à suivre un Gabriel Lecouvreur qui va mettre les pieds là où il ne fallait pas. Même si la verve politique et la critique sociale sont moins sévères que dans d’autres ouvrages de la série, le ton demeure mordant. Tout au plus pourrait-on regretter un peu que la motivation du meurtrier ne soit pas davantage creusée ; quand on apprend son identité trois pages avant la fin du roman, on ne peut alors que les supposer à partir des éléments dont on disposait.

    Un Poulpe bien tordant, comique à l’envi, et qui fait passer un très bon moment de lecture, les zygomatiques soumis à de délicieux efforts de trapézistes.

    /5