Le Diable, tout le temps

(The Devil All The Time)

  1. Un grand conteur est né

    Knockemstiff, Ohio, 1945.
    Arvin Russell, neuf ans, voit bien que sa mère ne va pas bien. Son père, rendu à moitié fou par le cancer de sa femme, l'oblige à prier chaque jour des heures durant. Arvin n'aime pas ça mais le fait, sans doute autant pour essayer de sauver sa mère que pour faire plaisir à son père.
    Roy Laferty, convaincu que Dieu l'a investi d'une mission, essaie de gagner sa vie comme prédicateur et écume les églises de la région avec son acolyte Theodore, un invalide qui joue de la guitare pour accompagner ses sermons.

    Missouri, 1965.
    Carl et Sandy Henderson ont une étrange manière de profiter de leurs vacances. Dès qu'ils ont travaillé assez pour mettre un peu d'argent de côté, ils partent en virée sur les routes du Midwest à la recherche des jeunes auto-stoppeurs. Après qu'ils ont croisé les Henderson, ces derniers ne sont jamais retrouvés. Pas vivants du moins.


    Né dans l'Ohio, Donald Ray Pollock a travaillé pendant une trentaine d'années dans une usine fabriquant du papier. Il s'est mis à l'écriture sur le tard, après avoir repris des études. Avant Le Diable, tout le temps, qui est son premier roman, on lui doit un recueil de nouvelles, Knockemstiff, qui a été unanimement salué à sa sortie aux Etats-Unis, aussi bien par la presse que par ses pairs, Chuck Palahniuk en tête.
    On ressent l'influence de ce parcours de vie à chaque page du roman. Peu de gens peuvent conter avec autant de véracité et d'empathie l'existence des petites gens du fin fond de l'Ohio.
    Il faut ajouter à ces superbes descriptions de l'Amérique rurale, élégamment traduites par Christophe Mercier, un véritable talent pour faire évoluer divers personnages, très différents mais ayant ceci en commun qu'ils portent tous un fardeau, qu'ils vivent tous avec une part d'ombre. On suit au fil des décennies les parcours d'Arvin, des frères Roy et Theodore, et du terrible couple Henderson, personnages atroces pour la plupart (Arvin est un peu à part) mais pour lesquels l'auteur – magie de la plume – arrive néanmoins à nous faire éprouver une certaine empathie. Bien sûr, c'est loin d'être rose, aussi certains lecteurs pourraient être dérangés par la grande noirceur qui se dégage de ce roman. Peu de place pour l'espoir et le salut chez Donald Ray Pollock, si bien qu'on arrête vite de compter les morts. Sans trop en dire, disons que les destins tragiques des uns et des autres vont peu à peu se rapprocher et que le final, de grande intensité, est particulièrement réussi et tout à fait dans le ton du récit.

    Le Diable, tout le temps est un excellent roman noir, une fiction certes, mais criante de vérité à bien des égards. Attendons de voir ce que l'avenir réserve à Donald Ray Pollock mais à la lecture de ce brillant premier opus – couronné il y a peu du Grand Prix de littérature policière – on peut penser qu'un conteur hors-pair est né, dont la prose rappelle entre autres les Cormac McCarthy et autres Tom Franklin.

    /5