Cris de mes chats le dimanche

  1. Le Poulpe jette l’encre

    Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, n’a plus le moral : Cheryl, sa coiffeuse adorée, batifole avec un inconnu, une maladie le prive des pieds de porc dont il raffole, et la politique actuelle de son pays le révulse jusqu’aux confins de ses tentacules. Alors il embarque sur une péniche avec Claire et Bernard, des amis d’un ami, histoire de se changer les idées. Dans l’embarcation, en plus du couple et de leurs enfants, il y a également des chats, dont Mélusine. Étrange félidé, d’ailleurs : tous les dimanches, la bestiole est la proie d’une possession qui la rend complètement enragée pendant quelques instants avant qu’elle ne recouvre son calme. Et ce qui est encore plus curieux, c’est qu’au même moment, un sinistre individu est assassiné. Serait-il possible que Mélusine soit en contact télépathique avec le meurtrier ?

    Deux cent soixante-seizième ouvrage consacré au Poulpe, et c’est à présent au tour de Jacques Jouet de relever le défi et d’animer le plus célèbre enquêteur libertaire de la littérature française. On retrouve assez vite le ton qui a fait le succès de la série : Gabriel Lecouvreur demeure le bien sympathique limier qui entreprend ses investigations en partant d’un simple fait divers. Il y a de l’humour, du cocasse, dans les dialogues comme dans les situations, et la société dans laquelle nous vivons et telle qu’il l’observe prend de sévères coups de griffes. Ici, Gabriel traverse une mauvaise passe, sentimentale et psychologique, et c’est un quasi cadavre qui embarque dans la chalande, jusqu’à découvrir une nouvelle enquête qui va le remettre d’aplomb ainsi qu’un amour naissant pour Claire, son hôte du moment.
    Cependant, ces qualités ne sauraient masquer un certain nombre d’écueils dans le récit. Jacques Jouet a de la verve et de la répartie, c’est indéniable, mais de nombreux dialogues durent, et durent, au point de perdre une bonne partie de leur saveur. Et puis il y a l’intrigue ; l’idée de départ était très excitante, avec ce phénomène inexpliqué qui se devait d’être le moteur, le propulseur du roman. Malheureusement, elle n’intervient pas assez vite dans le livre, et le lecteur trouvera probablement le temps un peu long avant que l’on entre enfin dans le vif du sujet. Cependant, cette attente pouvait être récompensée par un traitement débridé, audacieux, au moins aussi original que le postulat de cette histoire. Que nenni. Jacques Jouet n’exploite pas du tout le potentiel de la sarabande de Mélusine, s’en débarrasse assez rapidement, et le lecteur sera le spectateur frustré d’une enquête qui n’en est finalement pas une, puisque la résolution de l’énigme devient alors d’une évidence manifeste.

    Cris de mes chats le dimanche est donc un écrit décevant : quand Jacques Jouet cesse d’être bavard, malgré d’avérées qualités narratives, et qu’on en vient au cœur du sujet, l’auteur court-circuite sa propre fiction et laisse une immense impression de gâchis, comme si lui-même n’avait pas été en mesure de trouver une résolution solide à l’histoire qu’il avait bâtie, ou, pire, comme s’il n’y avait jamais cru. C’est comme un feu d’artifice sans bouquet final, un espoir déçu. Un opus qui fait malheureusement pschitt.

    /5