Le Petit Bleu de la côte Ouest

  1. La faute à pas de chance

    Georges Gerfaut est cadre commercial. Marié, deux enfants. Il fume, boit, aime le jazz, conduit une Mercedes. Un anonyme, sans histoires. Jusqu'au jour où il croise la route d'un homme qui vient d'avoir un accident de voiture et l'accompagne à l'hôpital. Un geste louable, gratuit, mais qui va lui coûter cher. Car l'individu supposé accidenté vient en fait d'échapper à une tentative de meurtre, et les tueurs ne veulent surtout pas d'un éventuel témoin à qui leur proie aurait pu se confier. Pour Georges Gerfaut, ça va être le début du cauchemar.

    Écrit en 1976 et porté à l'écran, c'est au tour de la bande dessinée d'offrir une troisième jeunesse au roman du même nom de Jean-Patrick Manchette. Prêtant son crayon pour l'occasion, Jacques Tardi illustre un roman qui était à la fois sobre et riche. Toutes en noir et blanc, les planches défilent sur environ soixante-dix pages, à un rythme sec et effréné. L'histoire est intéressante, mettant en scène un pauvre bougre, presque saisissant de banalité, qui commet un jour l'impair bien involontaire de se trouver au mauvais endroit et au mauvais moment, et à qui le sort va réserver des suites sanglantes. Si le postulat de départ semble classique, le traitement qui en est fait l'est beaucoup moins. Le lecteur se prend vite d'amitié pour Georges Gerfaut dont les ressources, la patience et la sagacité forcent le respect. Il n'est ni un héros ni un antihéros, juste un homme qui tente de se sortir du pétrin dans lequel il s'est fortuitement fourré. Le récit est très bon, l'univers de Jean-Patrick Manchette restitué avec sobriété et efficacité, et l'histoire, ménageant flash-backs et ellipses, tient en haleine.

    Tout comme le roman dont il est tiré, cette bande dessinée est une sorte de conte moderne, variation intéressante du pot de terre contre le pot de fer. Jacques Tardi exploite à merveille le livre qu'il adapte, où le bicolore des croquis fait écho au noir des mots et des combats de Jean-Patrick Manchette. L'hommage d'un grand dessinateur à un grand écrivain.

    /5