La Foire aux serpents

(A Feast of Snakes)

  1. Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur Mystic ?

    Mystic, Géorgie. Dans cette petite ville des Etats-Unis, on s'apprête à organiser l'immanquable foire aux Crotales. Le programme des réjouissances : combats de chiens, chasses aux serpents et élection de Miss Mystic à Sonnette. Il s'agit de la douzième édition de la fête. Sera-t-elle semblable aux précédentes ? Non. Un point est certain : les participants à cette bringue n'oublieront pas cette session.

    Harry Crews, l'auteur du troublant et fiévreux Chanteur de Gospel, n'a pas son pareil pour décrire des individus en marge, déboussolés, à la fois pathétiques et inquiétants. Un shérif obsédé sexuel à la patte de bois, un entraîneur de molosses de combat un peu trop instable, des haltérophiles prêts à tout pour rigoler, des majorettes à la langue bien pendue... Et bien évidemment, des serpents. Par dizaines, par centaines. D'apparat, constrictors, venimeux. Colonisant les collines, bringuebalés dans les camions des touristes venus exhiber leurs chers animaux de compagnie. Le récit prend lentement forme, plantant le décor et les protagonistes, avec la langueur d'une reptation. Certes, le roman prend son temps, insiste sur des points qui pourront paraître à certains lecteurs bien négligeables, mais la langue d'Harry Crews est un véritable régal, mélangeant poésie et argot, finesse et stupre, délicatesse et férocité. Et puis il y a les ultimes pages. Choquantes. Aussi subites que la détente d'un serpent qui passe à l'action. Un final en deux temps, cruel, sanguinaire. Un pur paradoxe : on pouvait s'attendre à cet épilogue, mais sa brutalité le rend presque inattendu.

    La foire aux serpents est donc un roman noir de très grande qualité. Il louvoie, hypnotise par son apparent engourdissement, avant d'attaquer. Le livre est métaphorique à bien des égards, et sa structure l'est autant. Vous aurez été prévenus.

    /5