Black Poher

  1. Dardoup joue les Poher Rangers

    Corentin Dardoup est agent de police municipale – dites plutôt garde champêtre, il préfère – dans la petite ville (imaginaire) de Bourgneuf, en Centre Bretagne. Toute la bourgade est en émoi, attendant l'arrivée d'un universitaire de renom venu rendre hommage à un inconnu local devenu un héros de la guerre d'indépendance américaine. Dans le même temps, un habitant sans histoire de la commune se fait sauvagement égorger chez lui. Corentin Dardoup est rapidement écarté de l'enquête par les gendarmes, mais comme tout Breton, il est têtu et donc bien décidé à comprendre qui a pu s'en prendre à monsieur Lejeune.

    Lorsque l'on demande à Yvon Coquil si Black Poher est une sorte d'hommage à 1275 âmes il répond : « oui, le talent en moins ». Cela en dit déjà long sur l'auteur : sur sa modestie, sur sa passion pour le roman noir américain (Daniel Woodrell, Harry Crews, Joe R. Lansdale...), mais aussi sur son humour. Ce n'est pas un hasard si la figure locale de l'histoire américaine qu'il a inventée s'est battue à Pottsville. Il s'agit en effet de la ville où officie Nick Corey, le célèbre shérif créé par Jim Thompson qui n'est pas sans rappeler Corentin Dardoup. Comme son homologue texan, le policier breton nous narre son histoire à sa manière, avec son franc-parler.
    Ce clin d'œil et le personnage principal mis à part, il y a d'autres points communs évidents entre ces deux romans noirs, aux premiers titres desquels le décor et l'humour. Le fin fond du Texas a été remplacé par le Poher mais le souci de décrire le monde rural reste le même. Les petites gens sont croquées dans leur médiocrité, tantôt avec bienveillance, tantôt avec cynisme, mais toujours avec talent. Des pensionnaires d'une maison de retraite qui se cachent pour picoler, des jeunes exploitants qui ne veulent plus être des paysans mais des « agri managers » : de nombreuses scènes décrites ici sont criantes de réalisme, et d'autant plus pour qui connaît la région.
    Comme le shérif Corey, Dardoup ne manque pas d'humour. Il a son caractère, la réplique qui fuse et beaucoup d'expérience dans le maniement de l'ironie. Au-delà, le garde champêtre, très attachant au demeurant, aime à passer son temps libre au bar avec ses amis, ou en plein air, à apprivoiser son cheval.
    Yvon Coquil n'en délaisse pas pour autant son intrigue, laquelle tient sans peine le lecteur en haleine et connaît plusieurs rebondissements avant les révélations finales.

    En brossant un portrait de la Bretagne rurale alliant noirceur et humour féroce, Yvon Coquil signe avec Black Poher un premier roman très convaincant. Un moment de lecture jubilatoire qui espérons-le, en appellera d'autres.

    /5